Soucaneau Gabriel

Pour rendre la culture accessible, il faut « investir dans l’humain »

Dieulermesson Petit-Frère, écrivain, éditeur, critique littéraire, professeur d’université, continue sa réflexion sur l’accès à la culture en Haïti. Dans cette deuxième partie de l’entretien, (lisez la première partie ici), il explique ce qui est à mettre en place pour toucher les personnes éloignées des pratiques culturelles et apporte quelques précisions sur l’accès au livre en Haïti.

Sans tourner en rond ou sans faire de gymnastique, je vous dis tout simplement qu’il faut commencer par investir dans l’humain. C’est, d’ailleurs, ce que font tous les pays qui croient en l’humain, au développement et au progrès.

Dieulermesson Petit-Frère
Image par janeb13 de Pixabay

Qu’est-ce qui devrait être fait, selon vous, pour rendre plus accessible la culture aux personnes éloignées des pratiques culturelles ? (Comme aller au cinéma, au théâtre, visiter un patrimoine, etc)

« Sans tourner en rond ou sans faire de gymnastique, je vous dis tout simplement qu’il faut commencer par investir dans l’humain. C’est, d’ailleurs, ce que font tous les pays qui croient en l’humain, au développement et au progrès. Après avoir mis en place les infrastructures, autrement dit des moyens pour satisfaire les besoins primaires (logement, santé, emploi, éducation) de leurs populations, ces pays investissent ensuite dans les superstructures (les institutions constituant la base idéologique de la société). Par exemple, dans un pays comme Haïti où la population n’arrive même pas à manger une fois par jour, on ne peut pas prétendre l’intéresser à la culture, aux choses de l’esprit. Ce sera le cadet de ses soucis, parce qu’elle doit d’abord gérer son quotidien. On connaît le dicton : ventre affamé n’a point d’oreille. Qui peut se permettre de s’adonner à des activités de loisir quand il a faim ?

Ce n’est qu’après avoir résolu ce problème qu’on peut parler de culture. Créer des infrastructures culturelles dans les villes : musées, salles de spectacle, cinéma, conservatoire, école d’art et autres parce que la culture (dont on parle ici) a aussi, il faut le dire, un aspect élitiste, cela a un coût. Tout cela constituera, bien sûr avec l’accompagnement de l’État, du secteur privé (les mécènes), une forme de démocratisation de la culture. Il y aura ainsi une plus grande offre et le public (aussi éloigné qu’il soit des pratiques) y aura accès. Et on verra, à coup sûr, avec le temps, les retombées d’une telle démarche, que ce soit sur le mode et la durée de vie des citoyens, les formes de civilité à se développer, la qualité du cadre éducationnel (formel et informel) et la courbe de développement de la société.« 

Comment vois-tu l’accès au livre en Haïti ? Est-ce qu’il y a des chiffres sur le livre ? Que disent-ils ?

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« Le livre aussi bien que la musique, la peinture, le cinéma, par exemple, est un bien culturel et économique. Ce n’est pas, comme on l’a appris à l’école par le passé, qu’il s’agit d’un simple véhicule de l’expression d’une société. Dans les pays développés où l’État et des groupes privés de la société (les mécènes) investissent dans l’industrie du livre, il rapporte gros, car il existe tout un marché. Du coup, l’accès est nettement massifié à cause de sa vulgarisation par les institutions (école, université, presse, édition, librairie, bibliothèque, foires, agences et maisons de distribution), les échanges (résidences, programmes d’accompagnement, cessions et ventes de droits, traductions) et la démocratisation du prix.

Alors, étant donné que vous m’avez posé la question je vais (prendre le risque de) vous répondre sans langue de bois. En Haïti, il faut avoir le courage de le dire, je ne crois pas qu’on puisse vraiment parler d’accès au livre quand celui-ci n’existe pas (encore). Car pour parler du livre, il faut des lecteurs. Or, nous avons un pays constitué de seulement 62% de personnes alphabétisées (adultes) et « près de la moitié des Haïtiens âgés de 15 ans et plus sont analphabètes »[4], d’après ce qu’a souligné le dernier rapport de Human Right Watch datant de 2019. En dépit du fait qu’il faut constater un certain intérêt pour la culture, en particulier le livre et la lecture, chez les jeunes à défaut de dire une certaine catégorie de jeunes, on ne peut pas vraiment parler d’accès véritable en ce lieu-là. Il s’agit bien d’une (petite) minorité. La (grande) population est pauvre, elle a faim, n’a pas de pouvoir d’achat réel, et le livre coûte cher, faute de subvention…

Des chiffres qui rendent compte de la situation du livre en Haïti ? Pas sûr qu’il en existe. Ou s’il en existe, ils ne sont soit pas disponibles, soit accessibles qu’à un nombre restreint de personnes, en tout cas pas aux acteurs de la chaîne du livre ou les intéressés qui travaillent sur la question. Je suis toujours confronté à ce dilemme à chaque fois que je suis dans l’obligation de parler (du marché ?) du livre haïtien quelque part. Il n’y a aucune donnée, aucune information et s’il en existe (je le répète), elles (ces données ou ces informations) ne sont pas fiables. La bibliothèque nationale d’Haïti (BNH), par exemple, qui a entre autres missions la conservation du patrimoine littéraire haïtien par la collecte, la conservation et la diffusion de ce patrimoine à côté de la lecture publique, n’arrive à remplir aucune d’entre elles. Peut-être tant bien que mal la lecture publique à une certaine époque, mais il est clair que depuis pas mal de temps, elle a failli à cette mission vu l’insécurité dans le pays et, tout particulièrement, l’environnement immédiat de la bibliothèque. Elle est située dans une zone de non-droit. N’en parlons pas du niveau d’amateurisme qui a prévalu et prévaut encore au sein de l’institution…  

Par exemple, la dernière fois où je me suis rendu à la bibliothèque nationale à ce sujet, c’était en 2019. À l’époque, je travaillais sur un document dans le cadre d’un programme d’accompagnement des éditeurs d’Istanbul, c’était avec beaucoup de peine que j’ai pu recueillir quelques informations, grâce à la collaboration de deux bons vieux amis qui y travaillent. Sur 5 années par exemple – soit de 2014 à 2019 – il y avait 3290 livres à avoir été publiés. Ils étaient répartis comme suit : 567 en 2014 ; 832 en 2015 ; 672 en 2016 ; 538 en 2017 et 681 en 2018. Cependant, ils avaient pris toutes les précautions pour me signaler que ces informations ne sont pas tout à fait exactes. D’ailleurs, tous les livres publiés ne sont pas catalogués car il y a des écrivains ou des imprimeurs voire des éditeurs qui ne savent pas qu’ils doivent obligatoirement signifier auprès de la BNH toute nouvelle publication d’ouvrages en produisant une demande d’un dépôt légal. Aucune institution étatique – qu’il s’agisse de la BNH ou de la direction nationale du livre (DNL) – ne peut nous donner de véritables informations sur le nombre de livres publiés, vendus, traduits chaque année, encore moins sur les achats, ventes et/ou cessions de droits. Tout ceci parce qu’il n’y a pas une vraie politique publique du livre et de la lecture. Parce que la DNL, institution qui devrait s’en occuper, est inopérante, même si elle a une direction générale, une direction de la lecture publique, une direction du livre et une troupe d’employés. Il faut tout de même saluer les efforts de Jean-Baptiste Remarais et Ralph Jean-Baptiste qui, en 2014, ont rédigé pour le compte de la DNL, et ce malgré toute sa limite, un document portant sur la politique publique du livre et de la lecture. D’ailleurs, l’un de ses plus grands handicaps aura été le fait qu’un nombre limité d’acteurs de l’édition ait été consulté avant d’arriver à son élaboration. Même s’il ne tient pas compte de toute une série d’éléments clés de la question, c’est le seul qui existe à ce jour.  


Autre exemple : voilà plus de 25 ans que « Livres en folie » se tient dans le pays au mois de juin. Je ne suis pas sûr que les organisateurs puissent nous dire combien de titres sont vendus depuis ces 25 éditions ? Combien en sont vendus par genre ? Quel est le genre le plus vendu ? Pourquoi tel genre et pas tel autre ? Qui sont ces acheteurs, d’où viennent-ils et que font-ils (écoliers, étudiants, professionnels, étrangers, institutions) ? Ils peuvent vous dire qu’il y a eu un certain nombre de titres disponibles dont X nouveautés et Y auteurs en signature (comme c’est le cas des autres foires organisées dans le pays). C’est qu’il n’existe aucun document présentant un état des lieux de l’évolution du livre dans le pays ou pour reprendre les propos de Tetzner Leny Bien Aimé, « le livre, ses agents, ses institutions et son économie demeurent un domaine de recherche peu balisé, car il n’existe pas de pôles académiques ni de recherches spécifiques les concernant dans les « études haïtiennes »[5], et c’est un gros problème qui ne sera pas résolu de si tôt pour les mêmes raisons que j’ai évoquées plus haut.« 

[1] Alain Chauve, « La culture scientifique », in L’enseignement philosophique, vol. 66a, no 1, 2016, p. 39.

[2] Pierre Windecker, « L’idée de « culture générale » a-t-elle un sens ? », L’enseignement philosophique, vol. 61a, no. 6, 2011, pp. 15-45.

[3] Felwine Sarr, Habiter le monde. Essai de politique relationnelle, Montréal, Mémoire d’encrier, 2017, p. 35.

[4] URL : https://www.hrw.org/fr/world-report/2019/country-chapters/325548#87bec3 Consulté le 19 janvier 2022.

[5] Tetzner Leny Bien Aimé, Vers une  Histoire sociale du livre, de l’édition et de la lecture dans le champ scientifique haïtien , 2020, document inédit.  


L’écrivain et critique littéraire Dieulermesson Petit Frère questionne l’accès à la culture en Haïti

Diplômé d’un master en gestion de la culture et du patrimoine, la problématique de l’accès à la culture est une thématique qui me tient à cœur. Pour balayer un peu cette question dans le contexte d’Haïti, j’ai interpellé Dieulermesson Petit Frère, écrivain, éditeur, critique littéraire, professeur d’université et doctorant à l’Université Paris-Est Créteil. Cet entretien vient en renfort au premier article publié sur l’accès à la culture en Haïti publié dans les colonnes d’Ayibopost. Que peut la culture encore aujourd’hui et que nous apporte-t-elle vraiment ? 

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Quel est l’importance de l’accès à la culture dans un pays ?

Je commencerai par dire qu’il est parfois malaisé de savoir de quoi parle-t-on exactement lorsqu’on parle de culture, tout comme l’on parle de philosophie, de littérature ou de féminisme, par exemple. Autant les problématiques qu’on croit résolues une fois pour toutes dans la mesure où elles paraissent être on ne peut plus simples, autant elles peuvent être compliquées et faire l’objet de controverses, de remise en question et de remise en examen d’une période à l’autre. Ce sont des notions ou des concepts que l’on ne finit jamais d’explorer et d’interroger compte tenu de leur “vastitude”. Autant dire que tout est une question d’époque, de courant ou d’approche et du champ disciplinaire. Ainsi donc se pose la question, que peut charrier ou revêtir la notion de culture ? À quoi se réfère-t-on lorsqu’on parle de culture, d’un homme ou d’une femme cultivée ? S’agit-il, pour citer Alain Chauve, « de l’instruction qu’il a reçue, une instruction qui comprend en particulier des connaissances apprises à l’école ou dans les livres »[1] ou autres ?

Alors, selon un schéma classique et, d’une manière générale, la culture regroupe, du point de vue anthropologique et/ou sociologique (Cf. Tylor et Boas), et pour faire vite, tout un ensemble de pratiques, valeurs afférentes aux sociétés ou aux communautés, dans un sens moins large. Dans un article paru dans L’enseignement philosophique, Pierre Windecker, la définit « comme la désignation d’ensemble des acquis par lesquels l’homme, à titre individuel, collectif, ou même universel, peut vivre d’une vie qui n’est jamais seulement l’expression de sa nature simplement biologique, mais toujours en même temps l’expression possible d’une autre « nature », sinon substantielle, du moins fonctionnelle, qu’on a pu désigner comme « raisonnable », « spirituelle », « symbolique », ou autrement encore »[2]. L’expression ou la notion est souvent utilisée, en philosophie notamment, par opposition à la nature, pour désigner quelque chose de l’ordre de la valeur ajoutée. C’est aussi, et précisément dans le cas qui nous concerne ici en soupesant le non-dit de votre question, et pour convoquer Bourdieu, tout un capital englobant les habitus, les accumulations liées à des systèmes institutionnalisés ou transmises et/ou acquises par les livres et autres biens ou objets porteurs de cultures/connaissances. Comme facteur de pouvoir, de notoriété, c’est ce qui permet ou facilite la reproduction au sein des sociétés ou des communautés.

Pour en venir à la question, je me vois obligé de formuler une autre question à savoir, tous les pays ne sont-ils pas nécessairement des pays producteurs de culture ? Si l’on est d’un pays et où l’on est né (j’emprunte ici la formule de Roumain), l’on devrait ipso facto avoir accès à la culture. Là encore, il faudrait se poser la question : quelle culture ? Il y a aujourd’hui une telle marchandisation et industrialisation de la culture, qu’elle est devenue un bien marchand qui s’achète et se vend au prix et au plus fort. Et les véritables gagnants dans cette affaire ne sont autres que les pays ou les sociétés de productions de biens culturels à grande échelle et disposant de grands groupes ou moyens de financiarisation de la culture. L’accès à la culture est plus que contrôlé, car c’est non seulement un facteur de distinction, mais aussi un élément important de développement civilisationnel. Il ne faut pas se leurrer, il arrive parfois que cette forme de culture pervertit parce qu’à cause de cette valeur marchande, le quantitatif l’emporte sur le qualitatif vu qu’il y a une course contre la montre dans la machine à production.

 © Jean-Claude Naba

Vous conviendrez avec moi qu’aujourd’hui, il y a plus d’accès à cette culture dite de masse qu’à cette culture savante (toujours) réservée à une (petite) élite. Ce que fait Tony Mix en Haïti par exemple, élevé au rang d’ambassadeur culturel depuis tantôt 5 ans, relève-t-il de la culture, de l’inculture ou de l’imposture ? Cela vaut autant pour les séries d’émissions radiophoniques et/ou télévisées que l’on prend le malin plaisir à taxer de “culturel”. L’on sent que tout se fait dans une sorte de nivellement par le bas dans le pays, à l’envers de ce qu’on appellerait “Culture”, et que des gens, soit dit en passant cultivés, à cause de la non-culture de la honte ou plutôt cette culture de l’indignité dont a parlé un romancier de chez nous, veulent imposer  comme culture à cette jeunesse délaissée. Un autre exemple, pour finir, c’est bien le momentum, on est 2022, au nom de quoi et comment des gens ayant toujours été toute leur vie à droite -l’extrême droite en plus-, peuvent-ils, en plus de s’arroger le droit de se reclamer de Jacques Stephen Alexis, prétendre initier des écoliers, des jeunes à l’idéal et la pensée d’Alexis ? On a quand même le droit d’être duvaliériste, mais faire une chose pareille est une insulte à l’intelligence, à la culture. C’est plus qu’indigeste. 

On vit dans un pays ou toutes les infrastructures relevant de la culture sont inexistantes. Il existe des musées quand on y va, on se retrouve dans une salle rien qu’avec les murs, les images et les sons et on remonte le temps, à des années loin derrière soi pour (re)vivre des événements datant de telle antiquité par exemple. Si dans les pays sous-développés il y a très peu de musées – il n’y en a même pas 5 en Haïti – alors qu’ il y a des pays où il en existe même trop (c’est exagéré tout de même de dire une chose pareille), mais aller voir qui sont les visiteurs ! Ce n’est pas tout de même le commun des mortels trop occupé à s’occuper du (pain) quotidien.

La culture a-t-elle un rôle à jouer dans la construction de l’identité d’une personne, d’une société ? Qu’apporte-t-elle ? Peut-on vivre sans culture ? 

D’abord, qu’est-ce qui fait les sociétés ? Qu’est-ce qui distingue telle société de telle autre et qui fait qu’elles ne se ressemblent pas ? Il en existe, bien sûr, plein d’éléments, mais la culture est un trait distinctif (essentiel). Toutefois, il faut retenir que culture et identité sont des phénomènes complexes. Si le premier renvoie à la diversité des pratiques humaines, les productions de l’esprit, le second définit l’individu, ce qu’il est, devrait ou voudrait être dans les diverses circonstances ou moments de la vie sociale. Si l’on s’en tient au courant culturaliste, il convient de souligner que culture et identité sont nettement liées. Et dans ce sens, les pratiques culturelles seraient porteuses d’identité, c’est ce qui porterait des scientifiques ayant réfléchi sur la question à parler d’identité culturelle. Ce qui m’amène à considérer, de ce point de vue, l’identité comme un processus et elle se construit au contact avec l’autre.Aucun individu ne peut donc vivre en vase clos, vu qu’il fait partie d’un ensemble et ingurgite tout un ensemble de codes, lesquels sont ancrés dans son identité. D’où il ne saurait être indifférent aux pratiques, donc ne peut se défaire de la culture en étant un produit. Aujourd’hui, l’on parle des identités autant que l’on parle des cultures. Il faudrait peut-être lire Maalouf (Les identités meurtrières, Grasset, 1998) pour essayer de cerner la question. Il devient imprudent de morceler l’identité/ l’individu, elle/il n’a pas qu’une appartenance. De nos jours, les rapports avec l’autre changent, et il y a de nouvelles manières d’habiter le monde (Sarr), en habitant pleinement les histoires et les cultures de l’humanité)[3].

Lire la suite de l’entretien ici.


Dire adieu à un être aimé

Comment écrire la mort ? C’est la question que je me pose en ce moment. Il y a plus d’un mois de cela, ma mère est décédée. J’ai reçu la nouvelle comme une décharge électrique. Et au moment où j’écris ces lignes, je ressens un vide énorme à l’intérieur de moi. C’est comme si quelqu’un m’avait violemment arraché quelque chose à l’intérieur de la poitrine. Et qu’on me demandait ensuite, de vivre sans. 

Je regardais toujours la mort du coin de l’œil. Dans ma tête c’était réservé aux autres. Je me disais qu’elle allait venir, qu’elle faisait partie des nombreuses réalités de la vie. Je m’offrais le luxe d’avoir une opinion sur la mort parce que je ne l’avais pas encore vécu aussi intensément, aussi proche. Mais quand elle t’arrache quelqu’un à qui tu tiens et surtout sa mère, qui compte plus que tout, on perd toute intellectualité, toute capacité à faire la part des choses. 

Vivant en France depuis quatre ans, j’ai dû rentrer en urgence en Haïti pour participer aux funérailles. La boule au ventre m’a accompagnée tout le long du voyage. J’appréhendais tant ce moment, mes tripes étaient en feu et se liquéfiaient à l’idée de voir ma mère dans un cercueil. Cette image serait pour moi insurmontable. La dernière fois que j’ai vu ma mère en face, elle me souhaitait bonne chance pour mes études en France, il y a 4 ans de cela. Et pendant ces 4 années, nous avons vécu au rythme des 6 heures de décalage, des appels téléphoniques et des visioconférences. 

Je projetais cependant, d’aller passer du temps avec elle, lui parler de mes réussites, de mes projets, de mes ambitions. Lui parler de mes fêlures et de ma force. Lui raconter les contrées traversées, les gens que j’avais rencontrés. Mais le Covid-19 a fermé les frontières du monde, ce qui a retardé et reporté mon voyage.  

J’aimais ma mère et je l’aime plus que tout, bien qu’on ne se disait pas les mots. Dans certaines familles, c’est une expression qui ne sort pas souvent. Ce n’est pas par manque d’amour mais d’autres choses remplaçaient cette petite phrase, si magique, si vide de sens parfois et si nécessaire. Ma mère était une source inépuisable d’inspiration, je tournais mon regard vers elle chaque fois que j’avais envie de renoncer, de lâcher prise. Et je voulais toucher l’horizon, juste pour qu’elle soit fière de moi et des sacrifices consentis. 

J’ai laissé Haïti avec l’idée que la personne que j’ai vue dans le cercueil ce jour-là, ce n’était pas mère. La personne joyeuse, pleine de vie, drôle, qui a tant donné à la vie et à ses enfants, ne pouvait pas se permettre de rester immobile en entendant le cri de ses enfants. Même en étant devant le cercueil le jour des funérailles, il y a une partie de moi qui refusait la réalité. Mon subconscient a rejeté l’information, peut-être était-ce pour me protéger de l’avalanche d’émotions qui accompagne la perte d’un être cher ? Même après un mois, j’ai encore de l’espoir que ce soit une mauvaise plaisanterie. 

Faire son deuil 

Quand on me demande comment je vais ces derniers jours, je réponds que ça va aller. Je vis la vie à petite dose, une journée à la fois. Je réponds sans vraiment peser mes mots, sans prendre le temps de faire une introspection. Je n’ai pas envie de dire comment je vais, car je ne veux pas imposer à l’autre le poids de ce deuil, de ce manque. Je me dis que le deuil est un cheminement solitaire, accepter que l’autre a traversé, accepter de ne vivre qu’avec des souvenirs. Même dans une famille soudée, chacun vit le manque à sa manière. 

Depuis le départ de ma mère, avec mes sœurs et frères, on se parle presque quotidiennement. On se donne des nouvelles, on essaie de s’épancher, sans faire porter le poids de son deuil à l’autre, car chacun de nous a vécu une relation très personnelle avec notre mère.   

J’ai voulu écrire sur cet événement, car je me dis que peut-être, l’écriture est l’étape zéro vers l’acceptation de la réalité. Apprendre à vivre au jour le jour sans ma mère, sans oublier sa mémoire. Quand à la fin de la journée, je n’ai plus de réunions, plus d’appels, plus de rencontres, dans l’obscurité de ma chambre, je laisse les larmes couler. 

Il y a tellement de choses que je n’ai pas eu le temps de lui dire. 


Chronique de confinés

On est samedi matin, 2e jour du deuxième confinement. Réveillé il y a quelques instants, un copieux petit déjeuner prolonge ma matinée (café, baguette, beurre d’arachide et jus d’orange). L’enceinte diffuse une sélection de musique soigneusement choisie sur l’application Deezer. Confiné pour encore un mois, j’ai pas mal réfléchi à la manière d’aborder ce deuxième volet. Pas question de me laisser affecter par l’enfermement comme ça a été le cas la première fois.

Sans vouloir devenir redondant, j’aime bien le silence, l’éloignement et la solitude. Mais pas quand on me l’impose du jour au lendemain. Le confinement est nécessaire pour arrêter la propagation du virus. Et ce texte n’a pas pour ambition de remettre en question les décisions du gouvernement. J’écris, parce que j’ai envie de vivre cet enfermement, autrement. Cette fois-çi, je prends le dessus, je prends le pouvoir. Pour faire différemment et vous proposer une autre voix que la mienne, j’ai proposé à un de mes amis, de partager avec moi son expérience du confinement. Témoignages. 

L’invité

© Pixabay

Ce deuxième confinement est apparu comme une évidence. Il est inévitable et nécessaire. Lors du premier épisode, je vivais au jour le jour, laissant les actualités et les études rythmer mes journées. Des journées, des semaines puis des mois. Je commence ce second confinement dans l’espoir que nous ne serons pas enfermés une deuxième fois chez nous pendant deux mois. La fin de ma semaine de congés approche, mais le travail à distance qui m’attend prochainement me donne l’impression que ces vacances vont se trouver prolongées. Je commence déjà à réfléchir aux moyens de m’occuper : n’importe quoi serait bon pour fuir l’ennui et éviter de revivre une période interminable. 

Fermé, annulé, ou reporté. J’ouvre mes messages, mes mails, et ce sont les mots qui reviennent. J’envoie des messages à mes amis, éparpillés, confinés, chacun dans un coin de la France. 

Célébrer en étant confiné

Il y a quelques jours de cela, je fêtais mon anniversaire. Si on peut appeler ça fêter, car retrouver tous ses proches, famille et amis n’avait pas la même saveur que les autres années. On limite les embrassades, les contacts, on lit dans les yeux de l’autre, de loin, d’un cousin, d’une grand-mère, toute la réjouissance d’être avec des personnes qu’on aime. J’ouvre ensuite quelques cadeaux, toujours un peu ému de voir la générosité de tous. Se contenter d’un simple “merci” a été difficile, pour moi et probablement pour tout le monde, d’une manière différente. 

Cette guerre contre le virus aura eu des impacts à bien des niveaux. Une guerre dont la victoire repose sur notre capacité à rester cloîtrés, presque sans contact avec l’autre. Notre capacité à ne rien faire en quelque sorte. Pour certains, c’est comme si la vie s’arrêtait ; le seul but étant de survivre, une nouvelle fois. Mais moi, je vis. Je vis autrement, en voyant le temps passer d’une manière différente. Mon quotidien, je le planifie en adoptant progressivement une petite routine. Je me douche, puis me coiffe, pour rester présentable lors des cours à distance, je fais du sport, regarde des séries, cuisine…

En fait, ce sont des habitudes, mes habitudes, et celles-ci me suffisent pour me sentir vivant. Elles me rappellent ma vie, avant 2020, où tout était possible. Ainsi, je vis chaque journée ancrée dans cette routine qui se met en place petit à petit et qui me donne l’impression que je vais sortir de chez moi, sans un masque sur le visage. 

Une année de doute…

2020 aura été l’année de toutes les surprises, l’année des changements et des remises en question. Chacun a revu les fondamentaux de son mode de vie en faisant un point sur soi, sur ses projets, ses relations, son avenir. Étant reclus, les gens ont changé. Même seuls, ils se sont retrouvés dans l’effroi, dans le doute, plus solidaires entre eux. Toutefois, aujourd’hui, ils voient un horizon plus clair.

La panique liée aux chiffres grandissants à la veille de ce confinement, la peur que suscitait l’annonce d’un nouvel enfermement et surtout la hantise d’être privé de nouveau de notre bien le plus précieux, notre liberté, semblent bien loin. Et finalement, maintenant bientôt arrivés au terme de cette triste année, je me dis que les gens ont compris que rester chez soi à ne rien faire valait mieux que de chercher à s’occuper de ce que l’on ne peut résoudre. Cette guerre est bientôt finie, mais je continue de m’armer de patience. 

Paul, étudiant à l’Université d’Orléans.


Entre confinement et confusions

Je commence à écrire ce texte sans avoir de titre. Habituellement, le titre s’impose à moi, impulsé par une image, une parole ou une séquence d’un film. Un fil à tenir qui dirige l’élan des mots, la teneur des phrases. Mais là, obscurité totale et je dois m’y faire. Le monde autour de nous est en train de changer. Je vous mets en garde dès les premières phrases, j’écris sans savoir où je vais. Mes idées sont confuses. Vous pouvez choisir de sombrer dans la folie avec moi ou tout simplement de fermer cette page web. 

En essayant d’aligner les mots les uns derrière les autres, la télé est allumée, l’émission Clique reçoit la comédienne Florence Foresti qui revient sur sa présentation des Césars, Jamel Debbouze raconte sa rencontre avec le chanteur Barry White et comment cela a bouleversé sa vie. La porte qui donne sur le balcon est ouverte, le vent entre doucement et rafraîchit la chambre. De mon lit, j’entends marcher mes voisins du dessus. Ils marchent lourdement, comme s’ils voulaient écraser le sol, « mon plafond », et descendre me demander des comptes. Je les entends marcher, cuisiner, jouer, baiser. J’en peux plus. 

On est à 3 semaines de confinement, j’envoie des SMS à mes amis et connaissances à l’autre bout du monde pour prendre des nouvelles. Ils sont éparpillés au Brésil, au Chili, en Haïti, aux Etats-Unis, en Espagne, en République Dominicaine, au Canada, et suivent avec la même curiosité l’évolution de la pandémie. Quotidiennement, les journaux publient les bilans, les chiffres augmentent dans certains pays et reculent dans d’autres. Sur les réseaux sociaux, ceux qui ont trouvé le secret du confinement écrivent des articles, font des vidéos, des podcasts, pour dire aux autres comment il faut le vivre. L’Haïtien en moi les regarde du coin de l’œil. Comme si inévitablement, il fallait trouver une solution à tout. Pourquoi on ne peut pas tout simplement se contenter d’avancer ensemble dans le noir, dans l’incertitude ? 

Étant un habitué et un passionné de solitude, j’avais cru que cet isolement allait me réjouir et me permettre de travailler sur l’un de ces nombreux projets qui me trottent en tête, ou de terminer un de ces nombreux bouts de texte qui gisent çà et là sur mon ordinateur. Mais ça n’a pas été le cas, j’ai perdu toute motivation et toute notion de créativité. J’ai regardé passer chaque jour comme un long film sans rebondissement. Ce virus nous a frappé comme un gros coup de poing sur la gueule, on ne s’y attendait pas et on n’y était pas préparé. Nous sommes en guerre, a dit le président français. Ce discours a eu pour effet d’épaissir les murs de notre liberté. On ne peut plus sortir sans raison, sans des documents à présenter en cas d’interpellation. 

Rester productif, même en temps de crise 

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Chers confinés, c’est ainsi que commencent les nombreux mails des responsables de formations de l’Université d’Orléans. Les mails arrivent tous les jours, ils essaient de trouver des solutions pour pouvoir clôturer l’année universitaire. La pression augmente, il faut continuer à étudier, à rédiger les mémoires, à suivre les cours par Skype, par Team’s, à faire les dossiers. Il faut être productif, même en temps de guerre. D’un côté, je suis admiratif de tout l’effort fourni par les équipes pour nous permettre de continuer les études en étant confiné, mais d’un autre, on n’a pas eu le temps de se préparer et de faire passer le message à notre cerveau. 

Pendant ce confinement, j’ai dû suivre des cours à distance, réviser, passer des examens, télétravailler et soutenir un mémoire, et pendant tout cela, rares sont ceux qui ont pris le temps de demander « est-ce que ça va aller ? » Une petite phrase qui aurait fait toute la différence. La vie doit continuer, même si tout autour de nous s’écroule. 

Affaire à suivre…



Escapade à Marrakech

Pour clôturer nos deux années de master avec tout ce qu’elles avaient de pression : dossiers à rendre, exposés à préparer, partiels et oraux réussis ou ratés, entre mémoires et soutenances, nous avons pris l’avion, Danielle, Marithsa et moi, destination Marrakech. Objectif : villégiature.

L’université est une expérience extraordinaire. C’est mon point de vue. C’est une affirmation qui peut ne pas faire l’unanimité, mais je persiste à le croire. Parallèlement à cette quête du savoir et d’une certaine compréhension du monde, c’est un lieu de rencontres et d’échanges déterminant pour notre avenir.

Après s’être apprivoisé en Master 1, le petit groupe d’amis que nous sommes devenus a longé ensemble les murs des amphithéâtres, des salles de cours et des rayons des bibliothèques de l’Université d’Orléans. Ce voyage au Maroc est pour nous un moyen de mettre un point final à une aventure qui n’aura pas été sans embûches. Pour certains d’entre eux nous, l’aventure s’arrête ici. Tandis que pour d’autres, l’aventure ne fait que commencer (je me suis réinscrit dans un autre master, soif de découvrir d’autres univers). C’est ainsi la vie, nos chemins se croisent, se perdent, pour mieux construire l’être que nous sommes. Laissez-moi vous conter cette aventure, qui aura fortement marqué notre amitié.

A la descente de l’avion – ©Soucaneau

L’angoisse

Je n’aime pas prendre l’avion (j’en parle souvent dans mes récits de voyages, coup d’oeil sur celui-ci), mais j’aime découvrir d’autres lieux, d’autres cultures, d’autres visages, écouter d’autres points de vue sur la vie, découvrir d’autres saveurs, d’autres gastronomies : tout ce qui fait la richesse de notre différence et de notre unicité. Mais pour ce faire, il devient presque inévitable d’emprunter ce moyen de transport. L’angoisse est toujours là, mais la curiosité de découvrir d’autres contrées prend toujours le dessus. Avec les récents crash du modèle Boeing 737 Max, j’avais bien précisé à mes amis organisant l’aventure que je ne monterais pas dans ce modèle-là. Telle était ma stupeur, quand à 2 heures du vol, je me suis rendu compte que j’étais dans l’un d’entre eux, le Boeing 737-800, différent du 737-Max mais le 737 dansait dans ma tête pendant tout le voyage.

À ma droite, un couple asiatique dort profondément, se réveille de temps en temps pour manger des gâteaux, boire de l’eau, pour ensuite se rendormir. Un autre couple avec deux petites filles n’arrivent pas à rester en place, les fillettes ont jugé bon que le couloir de l’avion était leur terrain de jeu. Derrière le couple asiatique, une femme est plongée dans un roman, elle soulève la tête de temps à autre, scrute les comportements des passagers et prend des notes. Peut-être une écrivaine ou une journaliste, pensais-je. Un peu plus à l’avant, un groupe d’amis discute à voix haute, prend des selfies et planifie leur soirée en boite. A plusieurs reprises, un homme d’âge mûr, assis à l’avant de l’avion, traverse le couloir à pas cadencés, regarde tout le monde dans les yeux, ce qui agace Danielle. Moi, je regarde, je mémorise tout et je prie pour que cet engin me dépose à terre le plus tranquillement possible.

L’arrivée

Nous arrivons à Marrakech à 18h15, la chaleur du pays nous accueille dès l’ouverture de la porte de l’avion. Il fait 29°, le soleil brille de tous ses feux. Tout l’opposé de la température laissée à Paris, mais on est heureux d’arriver à bon port. Notre chauffeur de taxi nous attend avec le sourire. Sur le chemin vers le riad, il nous donne en quelques mots les pouls du pays, de la ville. C’est le retour d’un pèlerinage à la Mecque en Arabie Saoudite, l’aéroport est bondé, le parking impraticable. En laissant l’aéroport, je découvre l’architecture des maisons, les mélanges de couleurs, une circulation dense et dangereuse, une impression de déjà-vu, de déjà vécu (beaucoup de similitudes avec Port-au-Prince). Mais Marrakech avance, construit, modernise et regarde vers l’avenir.

Du thé à la menthe en guise de bienvenue

Thé marocain
Dégustation de thé – ©Soucaneau

Le salon tient une place importante dans l’architecture de la maison marocaine, c’est un lieu où on reçoit les amis, la famille et les étrangers de passage. Notre hôte nous reçoit dans ce grand salon aux motifs rouge qui surplombe l’entrée de la pièce. Nous nous asseyons, las de 6 heures de voyage (2 heures en bus et 4 heures en avion), une grande théière est posée au centre de la table, l’odeur de la menthe remplit tout le riad. Une manière de nous souhaiter la bienvenue sous les cieux marocains. Le thé au Maroc est un savoir-faire qui se transmet de génération en génération, un moment pour créer des liens, échanger sur des sujets de société.

Le riad

Notre riad, une maison couleur terre, fait partie d’un complexe, avec porte d’entrée et sécurité. Inspiré de l’architecture du centre historique du Maroc et décoré de manière traditionnelle, le riad allie tradition, modernité et confort. Le Maroc est reconnu pour la variété de ces riads, offrant aux touristes un logis confortable, à moindre coût. C’est aussi l’un des moteurs de l’économie du pays.

Premier jour

Le jardin Majorelle

Notre aventure marocaine débute par la visite du Jardin Majorelle, très prisé par les touristes. C’est un îlot de verdure et de calme au centre de Marrakech. En traversant la porte d’entrée, on est tout de suite happé par le cachet des lieux : fontaines, bassins de poissons aux différents coloris, coins détente, couloirs drapés de fleurs,  kiosques aux motifs du pays. Le décor mélange l’artisanat local, le savoir faire des peintres, sculpteurs et paysagistes locaux. Le jardin est la cohabitation parfaite de la nature et du centre-ville commerçant.

Ancienne propriété d’un peintre français, Jacques Majorelle, il a été acquis par Pierre Bergé et le créateur Yves Saint-Laurent en 1980. En 2008, après le décès de Yves-Saint-Laurent, Pierre Bergé fait don du jardin à la Fondation Pierre Bergé. Aujourd’hui, le jardin est dirigé par la fondation portant son nom, la Fondation Jardin Majorelle.

Le Jardin Secret

Notre journée se poursuit dans les rues de Marrakech, le soleil est assez doux et un vent frais souffle sur la ville. Après la découverte du jardin Majorelle, notre chauffeur-guide nous conduit vers un autre jardin situé au coeur de la ville, “le Jardin secret”, à l’intérieur de la médina. Aux alentours du jardin, des vendeurs proposent l’artisanat local. Une explosion de couleurs et de créativité.

Le Jardin secret est la cour du riad le plus antique de la médina de Marrakech, selon un pamphlet qui nous est remis à l’accueil. Il est composé d’un jardin exotique et d’un jardin islamique, de plusieurs fontaines et bassins qui démontrent l’importance de l’eau dans ce type de construction et son parcours des montagnes jusqu’au centre-ville. Le jardin est le reflet de l’architecture locale, il garde encore ce luxe ancien, un lieu de pouvoir où les propriétaires recevaient leurs amis et invités pour de somptueuses réceptions.

La Palmeraie et les chameaux

La Palmeraie est un vaste terrain planté de palmiers, situé en périphérie de la ville. Elle permet à tout un chacun, touristes ou locaux, de venir goûter à l’expérience de la traversée du désert à dos de chameau. Depuis la préparation de notre voyage, c’était l’une des expériences “à faire” de notre liste. Nous avons voyagé pendant une soixantaine de minutes à dos de chameau, comme des aventuriers en quête d’un rare trésor. Pendant tout le trajet, le guide nous conte histoires et légendes qui ont nourri l’imaginaire marocain. 

©Soucaneau

Deuxième jour

Lundi est jour de marché, au pied des montagnes d’Ourika, reconnue pour sa température, ses chutes d’eaux et le style de vie coupé du temps qu’elle offre, s’étale le marché berbère, plein à craquer. C’est le jour des provisions pour les familles de ce village. Nous nous faufilons à travers les rayons des vendeurs de moutons, des vendeurs d’épices et d’artisanats. Un peu plus haut sur la route menant vers les montagnes, une organisation réunit des femmes productrices de l’huile d’argan et d’autres dérivés comme la pâte à tartiner faite avec des graines d’argan torréfiées au miel et d’autres produits de beauté fabriqués de manière artisanale par des femmes de la localité.

Nous laissons la boutique pour longer la route vers les montagnes, l’air devient de plus en frais, la ville et son décor sont derrière nous. Nous découvrons des villages flanqués dans les montagnes, avec une population travailleuse, avide de vivre, carburant au soleil, à l’air frais et ayant la nature comme lieu de vie.

Ce qui fait l’attractivité des montagnes d’Ourika, ce sont ses six chutes d’eau. Des touristes et des habitants de la zone empruntent les pentes abruptes des montagnes pour les visiter, se prendre en photo et admirer depuis les flancs des montagnes des villages au loin, comme des villes ombres, oubliées dans le décor. Pendant la descente, j’ai été rattrapé par ma peur du vide, (scène enregistrée par Danielle, qu’on ne diffusera pour rien au monde). Au pied des montagnes, des restaurants et bars improvisés, aux décors insolites, accueillent les aventuriers assoiffés et affamés à leur descente.

Troisième jour

Un séjour à Marrakech demande à coup sûr de se plonger dans l’histoire du pays et la version non orale de cette histoire est marquée par la présence des lieux de cultes comme les mosquées, les différents palais, les grandes places publiques et les souks (marchés). Les différents tons ocre des habitations individuelles, riads ou bâtiments administratifs sont un élément essentiel de l’architecture. À proximité du désert et ensoleillé une bonne partie de l’année, j’ai compris que la couleur ocre apaise la chaleur et les rayons du soleil.

Notre périple ce troisième jour a été la découverte d’endroits historiques comme le palais de Bahia, la mosquée de Koutoubia (la plus grande mosquée de Marrakech) et le tombeau des Saadiens. Des lieux historiques et culturels, témoignant de l’audace et de l’imaginaire de tout un peuple. Nous avons terminé cette journée dans un souk du centre ville, pour acheter quelques souvenirs de ce délicieux voyage.

Le Marrakech du rire

Pour clôturer une semaine riche en rebondissements

Le festival fut l’une des expériences incontournables de notre voyage. Ce fut un vrai plaisir d’assister au “Gala Africa”, l’un des spectacles ouvertures du festival, réunissant une pléiade de comédiens de tout le continent africain. Nous avons ri jusqu’aux larmes.

Gala Africa – ©Soucaneau

Quoi d’autre ?

Des chats, beaucoup trop de chats

On pourrait penser que Marrakech est la ville des chats, il y en a beaucoup. On ne peut ne pas les remarquer. Danielle, ailurophobe (phobie des chats, des ronronnements et des poils), en a fait un peu les frais. Les chats sont partout, ils font partie du décor, s’infiltrent dans les bâtiments publics, sur les places, dans les arrières-cours, traversent les rues, les voitures s’arrêtent pour les laisser passer. A Marrakech, les chats se pavanent comme des rois.

Pour les femmes, se couvrir

Visiter un pays étranger nécessite de faire des recherches au préalable sur la façon de vivre de la population locale, leurs coutumes et traditions. Même si le but du voyage est le tourisme, il est de bon ton de faire preuve de compréhension et de respect dans la manière de s’habiller et de se comporter. Le Maroc est un pays musulman, les femmes se couvrent totalement. Lors de nos passages à certains endroits, j’ai vu le regard, assez méprisant, des femmes voilées sur celles qui ne le sont pas, j’ai vu le regard curieux des hommes sur ces femmes-là. Et à chaque sortie, je m’assurais que mes consœurs (Danielle et Marithsa) avaient de quoi se couvrir, pas par obligation mais par respect et aussi parce que je ne pouvais pas supporter ces regards-là sur elles.

Les Souks, lieux de vie, piliers de l’économie

Vous l’avez compris, le souk est un marché traditionnel où on peut trouver de l’artisanat et beaucoup d’autres produits. L’avant dernier jour de notre départ, nous avons voulu nous frotter un peu plus à la population locale, nous avons donc troqué notre taxi privé pour la marche à pied, à destination de l’un des souks les plus célèbres du centre de Marrakech, situé sur la place Jemaa el fna. Le soleil était encore haut dans le ciel, la chaleur commençait à se faire sentir, nos téléphones portables affichaient 29°. Nous traversons les rues comme si nous avions toujours habité Marrakech, mais on voyait clairement que nous n’étions pas d’ici. Sur le chemin, des jeunes nous proposaient, dans toutes les langues, de nous emmener à notre destination, moyennant un frais. Par mégarde, nous avons suivi l’un d’entre eux qui nous a carrément égaré dans l’une des artères du centre ville. Le conseil de tous ceux qui ont déjà visité Marrakech et pour ceux qui souhaitent la visiter un jour, est de ne jamais suivre un pseudo-guide dans les rues, il vous demandera de l’argent et pourra même vous agresser. Ce fut le seul petit désagrément de notre voyage, ce qui nous aura permis d’entrevoir un autre visage de la ville. Après une dizaine de minutes à discuter avec lui, nous avons repris notre route, perdus dans des ruelles étroites qui se ressemblent toutes, où des motards circulent à leur guise, frôlant les piétons. Après avoir marché une bonne vingtaine de minutes, demandant notre chemin à des femmes d’âge mûr, nous nous sommes retrouvés sur la place tant vantée par les sites de voyages.   

La place Jemaa el fna attire par la diversité de ses commerces où tout est entremêlé. Au beau milieu, des charmeurs de serpents et des dresseurs de singes proposent de vous prendre en photo en compagnie de leur animal, moyennant une certaine somme. Le jus d’orange, très prisé, servi au petit déjeuner dans notre riad et dans les restaurants, se retrouve à tous les coins de rue et au centre des souks, offert par des vendeurs ambulants. Des restaurants, des terrasses et des boutiques de produits artisanaux entourent la place. Après quelques courses, un taxi moto en forme de calèche nous dépose devant notre riad.

Dois-je conclure ?

Je pourrais vanter encore longuement les vertus du voyage, mais je pense que vous en avez déjà une idée. C’est toujours plus intéressant de faire fi des on-dit, d’aller voir au-delà des apparences et des clichés. Ce voyage nous a permis de découvrir un pays avec une culture riche, une identité forte, des traditions et des coutumes qu’ils sont heureux de suivre et d’honorer. Nous avons pris plaisir à longer les rues de Marrakech, ses matinées fraîches, ses soirées illuminées et joyeuses, et l’odeur du thé à la menthe qui exprime tout haut le bonheur de se retrouver.

Nous avons repris l’avion pour Paris où des responsabilités nous attendent : des stages à terminer, des rapports et un mémoire à rédiger.

 

 


L’attente

C’est fou comme on change. En l’espace de quelques années, nous sommes devenus étrangers l’un à l’autre. Toi qui me promettais l’éternité et moi qui faisais pareil. J’en arrive à me demander si ce “nous” que nous avons construit existe encore ? Si tout ça n’était qu’un chapitre d’un roman à l’eau de rose ? En attente d’une réponse.

cadenas en forme de coeur et paire de clé, attente
Crédit : Pixabay

J’avais trouvé en toi cette personne à laquelle je voulais remettre la clé de moi, peut-être était-ce trop lourd comme responsabilité ? Peut-être qu’il ne faut pas demander aux autres de nous porter, de nous aider à nous construire, de nous aider à guérir de ces blessures centenaires que nous portons aux tréfonds de notre être ? Puisque la société nous fait croire qu’on n’est pas fait pour marcher seul, je voulais croire que j’avais trouvé cette âme avec laquelle j’allais tracer le reste du chemin. Comme un enfant tout excité devant le cahier quadrillé et sa boite de crayons de couleurs, j’avais dessiné ce que demain serait. Toi, tout ce que tu voudrais être et moi avec mes piles de livres et l’écriture pour donner du sens au quotidien.

J’aurais dû te demander peut-être ta vision de ce lendemain ? L’avais-je dessinée tout seul, sans ton avis ? Et du coup, tu ne t’es pas retrouvé dans les couleurs que j’ai choisies.

Je voulais être là. Je voulais être ce rocher qui arrêterait la violence des vagues, ces hautes montagnes qui feraient barrage aux vents forts. Mais au final, j’ai senti que tu n’avais pas envie ni besoin d’un rocher, que tu l’étais pour toi-même. Que tu étais ton propre bouclier et que tu arrêtais les coups tout seul. Je te regarde sur le ring de la vie, je te vois parer les coups, je les sens, je saigne même. Tu te relèves à chaque fois et tu continues la bataille. Peut-être est-ce cela qui m’avait attiré, cette force inconnue qui brillait dans tes yeux. Ne pensant qu’à moi-même et inconsciemment, je me suis dit que j’allais puiser dans cette lave pour coller mes fêlures.

Écrire pour survivre 

Je t’écris peut-être par pur égoïsme, parce ça me tue de savoir que d’autres te regardent, te désirent. Je t’écris aussi parce que la distance n’a pas éteint le feu, parce que je crois encore en ce lendemain. Si j’avais encore à le dessiner, tu choisirais tes propres couleurs.

stylo, écriture, attente
Crédit photo : Pixabay

Est-ce qu’il y aura d’autres lettres, je n’ai aucune certitude. Je sais que tant que je pourrai encore tenir un stylo et taper des lettres sur un clavier, il y en aura. Il y aura aussi des poèmes, des nouvelles, des récits, des romans. Tu seras partout, plus qu’un souvenir. Un personnage. Une image qui ne s’effacera pas. En attendant, je suis l’étranger assis à la gare, en train d’attendre.


Blois : la ville aux mille marches

J’ai découvert la ville de Blois vers la fin de l’été. Nichée douillettement dans le centre de la France, discrète et tout aussi fascinante. Visite guidée.

©Ville de Blois - Joël David
Ville de Blois – CC Joël David, reproduite avec son aimable autorisation

Je pose mes valises dans la ville de Blois pour faire un apprentissage en rapport à ma formation universitaire (Master 2 droit public, les Métiers de l’accompagnement politique). Une expérience professionnelle portée sur la découverte, un mot qui revient souvent pour parler de mon expérience en France. Je découvre une ville qui respire à pleins poumons, qui ouvre ses bras à l’inconnu, qui avance vers l’avenir avec confiance, tout en ayant un regard sur son passé. Cacher mon enthousiasme quand je marche dans les rues de Blois est mission impossible. A plusieurs reprises, je rencontre des calèches transportant des touristes curieux et heureux d’arpenter les rues d’une ville historique. Et je me dis tout bas, il fait bon vivre à Blois.

Repères

Ayant commencé mon apprentissage vers la mi-septembre, je me suis donné comme objectif de découvrir la ville. Je me réveille tôt pour humer l’air frais, le soleil réfléchit ses rayons jaunes et doux sur les toits des maisons, une nappe de vapeur blanche embrasse les rues pour nous dire que l’été touche à sa fin et que l’automne arrive. Blois a cette manière particulière d’inviter l’étranger qui séjourne dans ses murs à la visiter.

Découvrir Blois, c’est descendre une à une les marches de l’escalier dédié au savant Denis Papin. Arpenter ses rues au petit matin, admirer ses vitrines, ses bars et brasseries, fréquenter ses hauts lieux culturels (la Maison de la BD, la Fondation du Doute, la Maison de la Magie, la salle du Jeu de Paume), son patrimoine matériel (Le Château de Chambord, le Château royal) et ses nombreux festivals et rencontres ( Les Rendez-vous de l’histoire, bd BOUM, Mix’Terres, des Lyres d’été et des Lyres d’hiver) qui font de la ville un lieu culturel incontournable. Découvrir Blois, c’est aussi se plonger dans son histoire, ses légendes d’autrefois et d’aujourd’hui, ainsi que son patrimoine.

Le pont Jacques Gabriel et la Loire

Pas parce qu’on porte le même nom (Gabriel), mais plutôt que c’est l’un de mes repères incontournables, je l’emprunte tous les matins pour me rendre à mon apprentissage et tous les soirs pour rentrer chez moi. Le pont Jacques Gabriel relie les deux parties de la ville, séparées par la Loire, majestueuse à la parure dorée. Le fleuve porte l’empreinte de toutes les villes qu’il traverse. Il en est même le cœur, témoin de l’histoire, témoin des générations. Mémoire et patrimoine d’un pays, de toute une population qui s’y sent attachée.

Blois et ses degrés

Soucaneau Gabriel

Vivre à Blois nécessite des jambes puissantes car on n’échappe pas aux escaliers. Ils sont partout, on les emprunte soit comme raccourci, soit pour avoir d’autres perspectives de la ville. Le plus célèbre et le plus long est l’escalier Denis Papin (120 marches à gravir), offrant une vue en plongée sur la ville. Je n’aurai pas le temps dans ce billet de vous les présenter tous, laissez-vous piquer par la curiosité la prochaine fois que vous passez dans le coin.  Blois est une ville à découvrir, une ville qui se laisse découvrir.


De poussière et de sang

Il y a des moments de notre court passage sur terre qui ne peuvent pas être ravis par l’oubli. Ils sont incandescents dans nos mémoires. Des souvenirs qui vont et qui viennent à leur gré, nous attrapant à la gorge quand ça leur chante.

C’était une journée comme les autres, avec un soleil si chaud qu’il nous brûlait les entrailles. Ici, sur l’île, nous avons une relation particulière avec le soleil. De sa position dans le ciel, nous pouvons déduire l’heure. Les planteurs peuvent prédire si les récoltes vont être bonnes. Au-delà de sa mission de nous éclairer, il fait partie de nous.

Je me rappelle qu’enfant j’aimais le regarder fuir lentement derrière l’horizon. Ses lueurs jaunâtres caressant la ville, les cimes des montagnes, avant de disparaître totalement. L’horizon, ce lieu lointain fait de légendes, peuplé de ces histoires fantasques et rocambolesques que me racontait ma grand-mère, où le soleil était un Dieu et avait une femme très belle à la chevelure dorée. J’ai bien grandi depuis, mais je n’ai pas oublié ces histoires qui ont bercé mon enfance et surtout le visage de ma grand-mère, la bouche édentée, toujours accompagnée d’un sourire.

La journée battait son plein au centre-ville de Port-au-Prince, ville de milliers d’âmes qui se cherchent et se perdent au même moment. Une ville surpeuplée où les gens marchent les uns sur les autres, une ville-cercueil. Une ville-tombe. À cette heure de la journée, les écoles étaient remplies de cris joyeux des élèves. Les hôpitaux, comme d’habitude, étaient remplis de malades qui attendaient de voir un médecin, remplis de mourants qui attendaient un miracle et de corps sans vie qui attendaient un propriétaire. Dans la rue, les marchands ambulants offraient tout et n’importe quoi aux passants, les camionnettes et les taxis klaxonnaient sans s’arrêter, les pickpockets s’offraient les bourses des passants. Une journée type, sans grandes surprises. Un tableau auquel j’étais habitué et duquel je me nourrissais tous les jours.

Les activités sur le wharf se déroulaient tranquillement. Les bateaux accostés tanguaient au rythme des vagues. De gros gaillards avec de grosses machines déchargeaient les containers des bateaux, les rangeaient les uns sur les autres pour ensuite les expédier à leur propriétaire. Un grand marché était accosté au wharf, où on vendait des produits venant des quatre coins du monde. C’est là que se déroulait mon quotidien depuis plusieurs mois, gérant d’un dépôt au sous-sol d’un immeuble de trois étages.

J’emmagasinais les visages, les sourires, regardais les disputes avec curiosité. Entre les murs de ce marché, on radotait autant qu’on parlait politique…

À travers le bruit sourd des milliers de voix des marchands et des acheteurs, on pouvait entendre l’écho des vagues de la mer au loin. La journée avançait, le marché ne désemplissait pas. Les marchandes de nourriture continuaient à offrir des plats chauds aux passants. Un grand hall séparait le marché en deux, d’un côté les dépôts où on vendait les produits qu’on déchargeait des bateaux et de l’autre, un tout autre monde : des restaurants de fortune s’étalaient avec chacun un menu singulier, des couturières proposaient leur service de rapiéçage,  des coiffeurs proposaient les dernières coiffures à la mode… une montagne de vielles chaussures se tenait au pied du cordonnier, qui les rafistolait l’une après l’autre, à côté de lui, un cireur offrait ses services.

Tous les jours, je regardais ce monde-là se construire et se déconstruire à son rythme. J’emmagasinais les visages, les sourires, regardais les disputes avec curiosité. Entre les murs de ce marché, on radotait autant qu’on parlait politique. Les ragots circulaient rapidement. Personne n’y échappait.

Nous étions en janvier, saison de fête, grosse saison comme on dit dans le jargon d’ici. Le marché était encore plus peuplé que d’habitude. Le wharf était en ébullition et recevait plusieurs dizaines de containers de marchandises par jour. À trois heures, un agent est venu nous annoncer que notre container de marchandises était prêt à être livré.

Une quinzaine de gaillards déchargeaient les boîtes du container et les rangeaient par ordre dans la plus grande pièce du dépôt. Ils chantaient, couraient, blaguaient entre eux, se gavaient de gorgées de clairin* pour atténuer la lourdeur des boîtes qu’ils transportaient. Tout le monde vaquait à ses activités quand, soudain, un violent craquement. Et la terre se déroba sous nos pieds.

12 janvier 2010 ; 16 heures, 53 minutes et 10 secondes

Personne ne savait ce qui était en train de nous arriver. La terre s’est mise à secouer violemment, comme si elle changeait de peau. Elle s’arrêta un instant, puis elle s’est encore remise à danser. Une danse endiablée, d’une violence sans nom. La terre, semble-t-il, avait soif. Soif de violence, de vengeance, de sang. Mais ça, on ne le savait pas. Personne ne nous avait prévenus qu’à un moment donné, la terre se retournerait, changerait de peau et engloutirait tout sur son passage.

À l’intérieur du marché, c’était l’affolement. Chacun courait dans des directions opposées pour se mettre à l’abri. Mais personne ne savait à l’abri de quoi. Courir pour aller où ? Est-ce que quelque chose allait sortir de l’antre de la terre ? Avant même que j’ai pu comprendre ce qui se passait, l’immeuble de trois étages dans lequel j’étais s’affaissa sur moi. Noir total.

Un immeuble effondré – crédit : Pixabay

18 heures

« Suis-je mort ? Où suis-je ? Pourquoi je n’arrive plus à bouger ? » Je ne ressentais plus mes membres, coffré sous une pile de boîte et de morceaux de béton. J’entendais des voix qui appelaient à l’aide, des plaintes, des gens qui souffraient, pleuraient, des cris de détresse. « Ça y est, je suis en enfer », pensais-je. C’est cette image qu’on n’avait pas cessé de nous vendre de ce haut lieu de tourmente créé par Dieu. Un étang de feu, de larmes et de pleurs. Des gens qui brûlaient à n’en plus finir. Quelques souvenirs commençaient à remonter à la surface.

« Qu’est-il arrivé aux hommes qui transportaient les marchandises du container ? Qu’est-ce qui est arrivé au monde bruyant du marché ? »

Les plaintes continuaient, les voix continuaient à appeler à l’aide. Une voix de femme disait qu’elle était enceinte et qu’elle ne sentait plus le bébé dans son ventre. La terre trembla doucement, les dalles de bétons se serrèrent un peu plus. Le noir m’engloutit encore une fois et l’instant d’une seconde, je sentis que cette nuit pourrait être ma dernière sur terre.

Pendant ce temps, à l’extérieur, Port-au-Prince s’était embrasé de tous ses feux. Un chaos sans nom s’était propagé dans les corridors les plus sombres. Les maisons s’étaient affaissées comme des châteaux de cartes avec leurs occupants. Les universités avec leurs étudiants. Les immeubles avec les gens qui y travaillaient. Les hôtels avec ceux qui y séjournaient. Une poussière épaisse recouvrait la ville comme un voile dorée descendue du ciel. Des corps ensanglantés et déchiquetés jonchaient les rues. Un morceau de bras par ci, un bout de jambe par là.

On pouvait sentir l’odeur âcre du sang qui abreuvait les entrailles de la terre. Les cris de désespoir, formant un halo, montaient au ciel comme une offrande empoisonnée. Ceux qui ont survécu avaient pris l’autoroute, laissant le centre-ville, prenant la direction des montagnes, loin de la mer.

Une pluie comme on n’en a jamais vue s’abattait sur la ville comme pour sécher les larmes de ses survivants. Une eau rougeâtre descendait le long des caniveaux pour aller se jeter dans la mer. Le soleil n’avait pas su les prévenir, ce jour-là, que la terre avait soif. Une soif de chair et de sang.

22 heures

Une forte douleur au niveau de mes jambes et de l’eau qui mouillait mon visage m’avait réveillé. J’étais incapable de faire le moindre mouvement. Incapable de voir l’état de mes jambes, si elles étaient entières ou écrabouillées sous la dalle de béton. Il régnait un calme d’outre-tombe sous les décombres. Aucun bruit ne me parvenait, la dame enceinte avait cessé de pleurer. Parvenait-elle à dormir ? Était-elle morte ? Je n’en savais rien. De temps en temps, la terre vibrait sous le poids d’une voiture qui passait ou d’une petite secousse. De l’eau ruisselait de partout. Il pleuvait peut-être à la surface, pensais-je.

Des milliers d’âmes ne verront pas le lever du soleil du lendemain. Des milliers d’âmes sont parties dans une souffrance qu’elles n’avaient jamais imaginé, à laquelle elles n’avaient pas pu échapper. Cette nuit fut plus longue qu’une vie entière. Des milliers d’âmes ont traversé de l’autre côté de la rive, ensanglantées, le corps poussiéreux. Arrachées à la vie, à leur quotidien, sans prévenir. Sans qu’ils aient pu dire au revoir ou laisser une note.

Plusieurs jours plus tard…

En otage sous les décombres, je n’avais aucune notion du temps et comment la vie reprenait à l’extérieur. Une odeur de corps en décomposition flottait sous les décombres. J’étais arrivé à un moment où je ne pouvais plus tenir. Je cherchais dans mes souvenirs une raison pour laquelle je tiendrais le fil de l’existence. Je n’avais pas de femme, pas d’enfant, pas de famille. Je ne possèdais pas d’animal domestique, pas d’argent en banque, pas d’objets de valeur. J’étais une carcasse vide. Un homme seul et solitaire, prenant le quotidien comme il venait, avec ses surprises et ses mésaventures, trimbalant des rêves pour lesquels j’avais cessé de me battre depuis longtemps.

À plusieurs reprises, j’ai pensé que c’en était terminé. La mort me jouait des tours. Tantôt elle m’enlaçait, l’instant d’après elle me relâchait de son étreinte et j’ouvrais les yeux. Je sentais que c’était le jour, je n’avais plus d’énergie pour tenir. Je fermais les yeux, et lentement la vie s’enfuyait. C’était un sentiment si doux, si léger. Pourquoi les gens refusaient de mourir, si l’expérience était aussi agréable. Lentement, l’obscurité faisait place à de la lumière. Je sentis la terre qui se mettait encore à trembler, des voix me parvenaient sans que j’arrive à en saisir le sens. Puis soudain, une grande lumière blanche m’aveugla, un homme blanc m’apparut. Cette fois-ci, c’est le bon, je suis mort. …

Je me retrouvai sur un lit, vêtu d’une blouse bleue, avec une dizaine de fils attachés aux bras, reliés à des machines et des écrans. « Où suis-je ? Au paradis ? En enfer ? » Je ne savais plus auquel des deux mon âme appartenait. La porte de la chambre s’ouvrit et une femme me sourit, elle ouvrit la porte derrière elle et alerta d’autres personnes. Ils étaient tous là à me regarder, à sourire, à pleurer. Mais finalement es-ce que quelqu’un allait me dire ce qui se passe et dans quel univers je me trouvais ? Les mots n’arrivaient pas à franchir mes lèvres. Je me contentais de les regarder aussi. Une autre femme avec une blouse blanche tira le rideau. Le soleil brillait de tous ses feux à l’extérieur.

– « Monsieur, vous êtes le dernier survivant du tremblement de terre du 12 janvier. Nous sommes en mars, vous sortez d’un coma de 3 mois », me dit la femme qui a ouvert le rideau. Je la dévisageais sans vraiment saisir le sens de ses paroles. D’autres personnes arrivèrent dans la chambre pour voir le dernier survivant, le rescapé, celui qui avait échappé à la mort. Après leur départ, je regardais longuement le soleil et ses rayons jaunes. Je me rappelais des histoires de ma grand-mère, son sourire, sa bouche édentée. Je me rappelais du wharf, du container de marchandises. De l’immeuble qui s’est affaissé sur moi, de la femme enceinte qui pleurait sous les décombres. Je sentis des larmes chaudes couler de mes yeux et mon cœur s’arrêta de battre.

Clairin : eau de vie produite en Haïti de façon artisanale à partir de la canne à sucre


Se dérober de l’air du temps

Après une longue journée à poireauter à l’aéroport d’Orly (7h d’attente avant mon vol), j’ai laissé Paris à destination de Montpellier. L’avion volait à basse altitude, on pouvait admirer l’architecture des villes qu’on survolait grâce aux jeux de lumière. Ce sont les fêtes de Noël. Des marchés de Noël, des luges et des décorations lumineuses augmentaient la beauté des villes. De l’avion une vue féerique sur Paris et les villes environnantes s’offraient à moi.

Cet énième voyage en avion me confirme ce que je savais depuis le début : j’aime voyager, mais pas en avion. Je n’arrive pas à taire le bruit des moteurs dans mes tympans. Je scrute et interprète les moindres petits bruits des moteurs, je suis attentif aux moindres mouvements des hôtesses. Ayant suivi un cours sur la communication non verbale, j’essaie d’interpréter ce sourire centenaire et figé qu’elles nous envoient. Bon, je résume : j’ai peur de l’avion. Pas besoin de discourir là-dessus plus longtemps.

Assis dans une allée de trois sièges, la femme à ma gauche était perdue dans un roman et l’homme à ma droite, un « geek » barbu, regardait un manga sur son ordinateur portable. Pour faire passer le temps et essayer de me distraire, je lisais et relisais l’éditorial d’Air-France Madame sans pouvoir en saisir le sens. Les gens qui lisent dans les avions, vous me direz bientôt comment vous faites. N’ayant pas pu lire le magazine, je me suis mis à réfléchir à l’avenir.

Déconnexion
La déconnexion, voilà à quoi j’ai réfléchi pendant le reste du voyage. Comme un moine bouddhiste, perdu dans la méditation dans les montagnes. Je me dis qu’un jour, je prendrai une telle décision, pas de devenir moine, mais de me déconnecter du monde extérieur et de me reconnecter avec moi-même.

crédit : RodosvetYoga/pixabay

Habiter une maison sans connexion aucune, sans téléphone intelligent et sans mille applications pour rendre ma vie soi-disant plus vivable et plus facile. Aujourd’hui, on a cette impression qu’on est perdu, fini, si on n’est pas connecté. Comment vivaient les générations pré-smartphone, pré-internet ? On peut essayer de se poser la question. Pour ma part, je reconnais les avancées de la technologie et tout ce qu’elle permet de faire, et d’ailleurs, elle est très présente dans mon métier. Mais d’un autre côté, elle nous éloigne un peu plus chaque jour de la quintessence de notre être. Un jour je vivrai dans une maison perdue dans les bois, avec des centaines de livres tapissant les murs. Je boirai du thé, j’écouterai le chant des oiseaux, le ruissèlement du lac, je méditerai sur l’essence de la vie.

Je ne cherchais pas à être spirituel, plutôt à taire le bruit des moteurs de l’avion dans mes tympans. Le pilote annonça qu’on allait atterrir, les crissements des pneus sur le tarmac me firent un bien fou.