Soucaneau Gabriel


À la gare

Comme tous les autres passagers, j’attends un train pour une certaine destination. Nous sommes en décembre, le vent froid et sec de l’hiver se fait sentir. Dans la salle d’attente de la gare, les secondes de la grande horloge s’égrènent lourdement. De temps en temps, je me surprends en train de fixer les aiguilles. L’homme assis sous l’horloge pense peut-être que je suis en train de le surveiller. Un brin amusé, je souris intérieurement et je penses à Sherlock Holmes, cette série qui m’a gardé éveillé jusqu’à tard dans la nuit.

À chaque arrivé de train, des passagers descendent, accueillis par des membres de leurs familles. Ils s’embrassent, se racontent leur semaine et vont se réchauffer autour d’un café. Je regarde passer des dizaines et des dizaines de passagers, certains pressés de s’engouffrer dans les voitures du train, d’autres contents de rentrer à la maison. Moi j’attends, les secondes de l’horloge sont encore plus lourdes dans mes tympans. L’inventeur de cet appareil aurait pu le mettre sur mode silencieux, je n’aurais pas à supporter ce bruit du temps qui passe, si lentement.

À la gare, des visages se croisent furtivement, des sourires et des poignées de main. Des lendemains se croisent aussi, des destins qu’on lirait dans des romans plus tard, qu’on mettrait en musique ou peut-être sur grand écran. Près de moi, une femme hurle dans son téléphone dans une langue que je ne comprends pas. L’écran de la salle d’attente affiche la voie de départ de mon train. Je prends mon manteau et je suis parti.

Le train file à vive allure, des paysages verts à perte de vue, des maisons si petites qu’on pourrait croire qu’elles abritent des fourmis. De la fumée s’élève dans les cheminées et je me mets à penser aux familles autour de la table en train de dîner ou de se réchauffer devant le feu.

Pixabay

Arrivé à destination, une foule de personnes attend. Des passagers descendent, ils se mettent à s’embrasser, à se réchauffer mutuellement, à aller prendre des cafés. Je cherche un visage familier parmi tout ce beau monde, personne. Je me promet qu’un jour quelqu’un viendra m’attendre, on s’embrassera et on se réchauffera aussi, autour d’un café, autour d’un grand feu, avec de la musique en toile de fond.

 



Une année à vitesse grand V

Le mois d’août prochain marquera ma première année en France, une année riche en expériences. Des expériences qui m’ont permis de grandir, de mûrir, des rencontres et des conversations qui m’ont enrichi, bref, une année vécue à vitesse grand V.

Pour faire un petit détour, expérimenter l’ailleurs a toujours été un besoin pour moi. À un certain moment de mon existence, j’étais dans une routine en train d’étouffer et je voyais cet ailleurs pas comme un eldorado, mais plutôt comme un moyen de respirer à pleins poumons et de faire d’autres provisions. C’est un besoin qui, je pense, se trouve chez tous les humains. On a tous besoin de voir à quoi ressemble le reste du monde. De gravir des cimes plus hautes pour admirer d’autres horizons. Mais l’ailleurs, au-delà de sa richesse et de cette parure de rêve dont il se revêt souvent, est un risque. S’y confronter, c’est sortir de sa zone de confort pour affronter tout un nouveau monde.

S’adapter

Saurait-on mesurer la faculté d’adaptation d’un être humain ? Si cette technique existe, j’aurais aimé la découvrir. Pour ma part, l’adaptation n’a pas été automatique mais elle était impérative puisque j’étais là pour étudier. Mais la réalité dépasse de loin ce qu’on lit dans les livres. Pour commencer, il y a le décalage horaire de six heures. Je suis loin d’être un fainéant, mais certains matins je me réveillais comme quelqu’un qui aurait fumé de la marijuana toute la nuit, pourtant, je devais être à l’heure en cours. Autre point d’adaptation : la gastronomie. La gastronomie française est reconnue parmi les plus riches du monde mais elle demande un peu de temps pour être appréciée à sa juste valeur, surtout pour un haïtien comme moi, habitué à une nourriture plutôt épicée. Il y a aussi la relation des gens avec la société, avec eux-mêmes. Leur regard et leur jugement sur les étrangers qui m’ont permis d’arriver à certaines conclusions.

Entre stress, solitude et dépression

Pixabay
Pixabay

Depuis mon arrivée, je suis logé dans une résidence pour étudiants sur le campus de l’université. La richesse de ces endroits réside dans le fait qu’ils concentrent la présence de toutes les nations. J’ai croisé des guinéens, des congolais, des algériens, des malgaches, des japonais, des chinois, des brésiliens, des indiens, etc. Au premier regard, on dira que c’est une vraie richesse, mais d’un autre côté c’est une grande pauvreté, il n’y aucun effort qui est fait pour aller vers l’autre, aucune socialisation. On se croise au hasard dans la cuisine, sans un bonjour, on fait son café et on s’enferme dans sa chambre. Moi l’haïtien, un peu « soumoun », je disais bonjour à tout le monde, je souriais, je voulais embrasser toutes les cultures, apprendre sur chacun de ces étudiants, leurs origines et pourquoi on se retrouvait tous en France, dans cette résidence, à cet instant précis.

Dans ma curiosité naturelle, dans ma soif de découvrir l’autre, et en qualité de blogueur, je me disais que j’allais avoir de la conversation, de la matière pour écrire. Mais il ne m’a fallu que quelques mois pour me rendre compte que trop de chaleur humaine était un peu mal vu et même déplacé. Qu’il fallait faire preuve de retenue. Qu’il fallait être un peu plus « froid ».

Et c’était un peu difficile de s’adapter à cette nouvelle réalité. Pendant les premiers mois, c’était très dur de faire le parcours entre la résidence, les salles de cours et les bibliothèques, sans croiser un regard avec un peu de chaleur. Ceux qui n’étaient pas entièrement accaparés par leur téléphone avaient le visage déconfit qui disait clairement « ne viens pas me parler ».

Souvent, je priorise la solitude pour écrire, pour lire et me retrouver. Mais j’ai pu remarquer qu’une trop grande dose de solitude pouvait être néfaste à l’équilibre mental. Et malgré le fait que j’étais en France, que je faisais un master, que j’avais de la famille et des amis qui m’envoyaient de l’amour et de la chaleur d’Haiti, j’ai perdu l’équilibre. Un peu plus tard dans l’année, un étudiant d’origine africaine m’a confié qu’il s’enfermait dans sa chambre pour pleurer, tellement la solitude et l’indifférence le rongeait. Donc je me suis rendu compte que je n’étais pas seul dans cette lutte et que derrière le masque de l’indifférence que certains affichaient, il y avait un cœur tendre qui avait tout simplement besoin de chaleur humaine.

Une certaine psychologue

En France, il faut vite s’adapter et suivre le rythme. On peut facilement se retrouver au fond du gouffre si on n’arrive pas à suivre. C’est comme un train à la gare, tu le rates et tu rates toute ta journée. Faire l’équilibre était donc devenu mon crédo ; m’adapter, apprendre les cours, faire les devoirs, avoir de bonnes notes, travailler pendant mes études, etc. Et dans cette course folle contre la montre pour garder l’équilibre et avoir le contrôle sur tout, je me suis retrouvé un après-midi sur un siège de cuir noir, dans le bureau d’une psy, stressé, surmené et au bord de la dépression.

Par souci de voir un peu plus clair, et le mot revient, de faire l’équilibre, j’ai pris rendez-vous avec une psy sur le campus. C’était un après-midi assez calme, j’ai séché un cours pour aller à mon rendez-vous, je me suis mis sur mon trente-et-un et tout le reste. Première expérience, je me suis dit qu’elle allait m’aider à voir le bout du tunnel. Assis dans son bureau, comme on voit souvent dans les films, j’étais assez confortable. La première question ou plutôt la première phrase qu’elle me lança fut, « je vous écoute ». Je ne savais pas par où commencer mon discours exactement. Je me suis dit « commençons par le commencement ». Je déballais mon histoire mais dans son regard, je ne voyais ni écoute ni compréhension. Son téléphone vibra à plusieurs reprises, ne pouvant plus résister, elle consulta ses messages. Elle se moucha à deux ou trois reprises. J’ai quitté le bureau sans prendre de rendez-vous pour la prochaine fois. Son regard était trop vide, trop détaché pour m’apporter quoi que ce soit.

Une dose de soleil

De G à D; Danielle Diakebolo, Soucaneau Gabriel et Marithsa Pierre

Il a suffi d’un regard et d’un petit bonjour en cours un matin pour changer les choses. À côté  de l’indifférence de certains, il y en a d’autres qui débordent de chaleur humaine. J’ai croisé une fille (Danielle sur la photo) super sympathique avec laquelle j’ai fraternisé et plus tard le groupe de deux est devenu un groupe de cinq, partageant les hauts et les bas, les victoires et les défaites sur le campus. Et la bonne nouvelle, c’est que nous avons tous les cinq validé notre master 1 et sommes tous admis en master 2.

La leçon à tirer dans tout ça est qu’il faut se construire une armure. Qu’on soit en France, en Haïti, au Congo, au Sénégal, au Brésil, il y aura toujours des batailles à livrer, contre soi-même, contre les autres. L’essentiel est de savoir se relever après les chutes.

 

À bientôt !

 

 

 

 


En quête de repères dans la ville de Jeanne d’Arc, Chronique 002

Trouver des repères à Orléans est une étape importante dans mon installation et mon intégration. Déjà quatre semaines à errer dans les rues d’une ville qui m’a ouvert grandement ses bras, à m’émerveiller devant de somptueuses architectures, à écouter et à apprécier l’Histoire écrite dans chaque coin de rue et dans chaque pan de mur, à jauger discrètement les passants. Je voulais avoir des repères un peu plus palpables, donc je me suis tourné vers les saveurs et les lieux. Le café est délicieux mais la tasse trop petite. Dans les Caraïbes, on ne goûte pas le café, on s’en gave à longueur de journée. Je reviendrai sur ce chapitre.

La crêperie

Ma première vraie rencontre avec la gastronomie locale fut dans ce petit resto très convivial de la rue de Bourgogne. Le serveur est courtois, la voix rassurante, des yeux marron clair très curieux qui, d’entrée de jeu, séduit le client et l’invite à s’asseoir. Ce fut mon cas et celui de beaucoup d’autres aussi, j’espère. Le hic, quand on découvre une gastronomie pour la première fois, c’est qu’on n’a pas le luxe de pouvoir choisir. On contemple dans le menu le nom des plats et les images qui font venir l’eau à la bouche. On ne peut pas choisir librement parce que, tout simplement, on n’a aucune référence. Donc, découvrir la gastronomie devient toute une aventure. On se laisse aller aux couleurs, aux saveurs, (au prix) et à son humeur.

Quelques minutes plus tard, le serveur dépose le plat devant moi. Très beau visuel, c’est une crêpe américaine, fourrée de poulet, de crudités, parfumée au miel et de mille autres choses. Ce fut une très belle découverte, l’image et le goût s’harmonisent parfaitement. J’y ai pris du plaisir, chaque bouchée fut un vrai régal. Et depuis, je suis revenu une deuxième fois.

Le cinéma les Carmes

Pixabay
Pixabay

Renouer avec les salles obscures étaient important pour moi. Je voulais retrouver le confort des fauteuils rouges et l’odeur salée des popcorns. Malheureusement les mythiques salles de cinéma dans la capitale haïtienne, Imperial, Capitol, Paramount (pour ne citer que ceux-là) ont fermé leurs portes depuis des lustres. Plusieurs générations ne connaîtront pas ce plaisir. Pourquoi le loisir est inexistant dans les programmes des gouvernements ? Quelle est la mission du ministère de la culture ? Si je continue avec les questions, ce billet deviendra un questionnaire sans fin.

‘’Nos années folles’’ est ma première projection au cinéma Les Carmes (il y a une bonne réduction pour les étudiants). Une ambiance intimiste, des affiches de films d’auteurs, des critiques accrochées au mur, on n’a pas l’impression d’être au cinéma, mais plutôt sur le plateau d’un film. La chanteuse Shy’m vibrait la jeunesse Orléanaise au Zénith d’Orléans ce jour-là, je me dis que c’est peut-être la raison pour laquelle je n’ai croisé que des personnes du troisième âge. Ma prochaine visite saura me le confirmer. Le Jeune Karl Marx réalisé par Raoul Peck sera bientôt à l’affiche.

Le Lac

Le Lac. Université d’Orléans

Mon âme a besoin de repères, de silence aussi. Pour penser à moi, à l’avenir, à ces êtres que j’aime éperdument, à mes projets d’écriture, cette activité qui panse mon âme.

Le Lac planté au cœur du campus de l’Université d’Orléans répond à ce besoin de se retrouver face à l’écho de sa propre voix. Je me suis retrouvé, à plusieurs reprises, à admirer cette masse noirâtre où sautillaient à leur rythme de petits poissons. Je viens là de temps en temps quand la solitude de ma chambre d’étudiant pèse un petit peu trop. Le vent froid et sec froisse mon visage et brûle mes doigts, de l’autre côté un pêcheur attend patiemment avec son son filet, il a un drôle de cigare dans la bouche, le bruit du vent dans les arbres adoucit la bête en moi. Je rentre les mains dans les poches, j’ai un texte à finir et des notes à réviser.

Entre la crêperie, le cinéma les Carmes et le Lac, je commence à trouver mes marques, n’est-ce pas ?

 

 

 

 

 

 


Un étudiant haïtien à Orléans, chronique 001

Comment commencer ce papier déjà ? L’idée de voyager m’a toujours habité. J’étais toujours attiré par cette image, faire ses bagages et partir vers des horizons inconnus. Je ne suis pas le seul, tous les humains portent en eux ce besoin d’évasion. N’est-ce pas la raison pour laquelle l’industrie du voyage fleurit à un tel rythme ? Partir pour découvrir, mais aussi partir pour revenir, parce qu’il y a un chez soi qui vous attend douillettement.

Mon premier voyage hors d’Haïti fut une expérience à Madagascar. Beaucoup d’heures d’avion, mais comparé à ce que j’ai expérimenté, aux visages que j’ai croisés, aux conversations que j’ai eues, 22 heures de vol valaient amplement la peine. J’ai compris que voyager à travers les couloirs du monde peut nous aider à combler des espaces en nous. C’est comme un grenier qu’on remplit de petites vies, de voix, de sourires, d’odeurs, de saveurs. À un moment donné, ils refont surface et construisent ce que nous avons tendance à appeler souvenirs.

Bienvenue à Orléans

Dans ma volonté de découvrir le monde et surtout après maintes démarches, je me retrouve aujourd’hui à Orléans pour faire des études. Je découvre en même temps une histoire ancrée dans la mémoire de tout un peuple. Des rues que Jeanne d’Arc et le général Charles De Gaulle ont parcourues. Je découvre un rythme de vie cadencé, une courtoisie qui vaut la peine d’en parler. Je tombe lentement amoureux de cette ville, de ses habitants, de ses légendes, ses personnages et ses repères. Je ne suis pas qu’un simple étudiant étranger qui fait des études, je suis à un carrefour intéressant de ma vie et je fais le plein pour l’avenir. Comme une ombre affamée, je fais le plein de bruits, de sourires, de saveurs, d’odeurs, d’images et de paroles.

Orléans est une ville à découvrir posément. Défaire ses bagages, se munir d’un manteau pour se protéger du vent frais qui souffle sur la ville et sortir respirer l’oxygène orléanais à pleins poumons. Je suis là pour des études, mais aussi pour vivre, pour expérimenter, pour partager l’histoire d’une ville déjà légendaire.

 


Soleil d’Été met les enfants sur le devant de la scène

L’émission Soleil d’Été revient pour sa 9e saison. Le rendez-vous estival de Radio Télé Soleil crée une plateforme pour les enfants, public souvent oublié de l’audiovisuel en Haïti, et réunit des milliers de téléspectateurs sur leur divan le soir. Le concept est clair, un concours de chant qui met en valeur les talents des enfants. Mais ce qu’il faut aussi retenir de cette émission, c’est que ce n’est pas seulement un plateau pour chanter, Soleil d’Été est aussi un lieu de rencontre, de socialisation, où les enfants viennent pour s’amuser, créer des liens, apprendre, jouer, s’exprimer, se dépasser.

Courtoisie: Télé Soleil

C’est une rencontre annuelle que les enfants ne veulent pas manquer, en tant que téléspectateurs, spectateurs et participants, ce qui démontre une soif de leur part pour du contenu de leur âge. Sur la cour de Télé Soleil et dans les coulisses de l’émission, c’est aussi un mois pour oublier les différences érigées et entretenues par la société : Couleur de peau, religion, classe sociale ou situation financière. Au sein de l’institution, les barrières sont tombées, ils ne sont que des enfants et c’est tout ce qui compte.

 Une 9e édition qui annonce des couleurs

Courtoisie : Télé Soleil

Une centaine d’inscrits prendront part à l’émission cette année, moins que l’année dernière, explique Père Claudy Duclervil. C’est un choix stratégique, vu l’aménagement de l’espace réservé pour le tournage, pour permettre une meilleure circulation des enfants sur les lieux de l’émission. Un décor flambant neuf, des clowns aux costumes colorés et festifs se préparent à égayer le cœur des enfants tout un mois durant.

Créer plus de contenu pour les enfants

L’audiovisuel en Haïti ne songe pas à créer des émissions pour les enfants. C’est un constat. Un rapide coup d’œil sur les chaines de télévision et de radio nous permettra de se rendre compte qu’il n’y a pas beaucoup ou pas du tout d’émissions que les enfants peuvent regarder et écouter. Ils sont les grands oubliés. Autre constat tout aussi désolant est le langage qu’utilisent certains journalistes. On a l’impression qu’ils oublient qu’il y a des enfants qui écoutent. Le langage grivois de la rue est servi sur un plateau sans ménagement. La ‘’rue’’ s’est doucement incrustée dans les contenus par ces journalistes qui veulent paraitre branchés. Ils oublient que la radio et la télévision doivent donner le ton à la rue et non l’inverse.

Créer du contenu pour l’audiovisuel demande des fonds. Et c’est ce qui incite peut-être les propriétaires de chaines de télévision à se tourner vers l’extérieur, du tout cuit, des films et des séries télévisées qu’ils bombardent aux téléspectateurs. Et souvent ces films et ces séries télévisées ne sont pas contrôlés et les enfants deviennent des consommateurs-victimes de ce type de programmation où violence, sexe, et langage grossier constituent le menu.

Aujourd’hui en Haïti, les activités à caractère social et éducatif qui peuvent élever l’esprit et enrichir le débat dans la société ne sont pas la priorité des institutions qui peuvent financer. On retrouvera plutôt leurs noms sous les affiches de bals, de festivals, de soirées DJ, de soirées de tout acabit. À croire que selon eux, une société ne se construit que sur de l’instantané. Et après ils font semblant d’être surpris face à la déchéance et la médiocrité qui sévit, dont eux-mêmes sont en partie responsables. Si on n’investit pas dans l’humain, comment peut-on oser prétendre au changement.

Radio Télé Soleil est une institution à saluer pour les initiatives qu’elle prend depuis sa création. J’épelle au Soleil, Mains à la pâte, Soleil d’été, Pidetwal sont des émissions créées pour les enfants et les adolescents et ils sont au cœur de ces initiatives. Provoquer l’esprit d’équipe, la créativité, la quête de l’excellence, briser les distances, découdre les préjugés, démonter les complexes sont, pour ne citer que ceux-là, la philosophie de cette institution qui fêtera sous peu ses 40 ans d’existence.

 

 

 

 


La peinture avec Maud Eliacin

Chez Maud Eliacin, les fleurs accueillent le visiteur dès la clôture, elles s’étalent dans la cour, grimpent sur les murs. Et ça ne suffit pas, son âme en redemande, encore plus de fleur quand on pénètre dans son atelier. De beaux tableaux sur des dimensions imposantes, aux couleurs variées et vives. L’agave ou centenaire, l’orchidée, les roses, les tulipes et particulièrement l’hibiscus. Maud Eliacin offre une seconde vie aux fleurs, les capte à leur moment d’éclosion, offrant aux spectateurs une autre vision de la nature, dans son plein épanouissement. Bonne écoute.


La bicyclette rouge

Je remonte souvent en enfance, certaines fois volontairement, d’autres fois je suis catapulté (le mot sied à merveille) avec une telle violence dans mes souvenirs. Des souvenirs que j’essaie de refouler et je n’y parviens pas toujours. On essaie de cristalliser le présent, de se créer des souvenirs avec lesquels on pourra vieillir. Mais que peut-on faire de ces pans du passé qui heurtent à chaque fois qu’ils refont surface ? Petite exercice : Tu rencontres sur ta route un génie et il peut réaliser un seul vœu, qu’est-ce que tu demanderais ? Quelques années plus tôt, j’aurais demandé à ce génie d’effacer mes souvenirs, les mauvais surtout. J’ai tellement de choses à oublier, des visages que je souhaiterais voir se faner à jamais, des rencontres, des énergies négatives, des expériences qui m’ont éloigné loin de moi-même.

Mais j’ai fini par comprendre que ces souvenirs, ces expériences, bonnes ou mauvaises,  participent à ma construction. C’est ce ‘’moi’’ qui me parle à voix basse dans le miroir, quoique maquillé de toutes les nuances du monde. On aura beau porter des vêtements hors de prix, se cacher derrière des lunettes noires, des diplômes et des titres, il y aura toujours cette petite voix intérieure. Celle-là qui nous a suivis depuis notre naissance et qui s’éteindra sur notre lit de mort. Il y aura toujours ce ‘’soi’’ que rien ne pourra changer et qui nous enverra la vraie version de nous-même, quel que soit le chemin que nous aurions parcouru.

Ayant grandi avec le strict nécessaire, il y a des rêves que je n’ai jamais osé rêver étant petit. J’avais compris que ma mère (mère célibataire) faisait de son mieux, et le plus important pour elle était de nous nourrir. On ne devait pas dormir avec le ventre creux et pour cela, elle faisait tous les boulots possibles et imaginables. C’était la mère de tous les exploits. Je n’avais pas demandé plus car elle n’avait pas plus à me donner. Il n’y avait pas de cadeaux sous le sapin pour le nouvel an, il n’y avait pas de sapin et il n’y avait pas d’espace pour disposer un sapin de toute façon. Il n’y avait pas d’habits neufs pour les grandes occasions, pas de gâteaux d’anniversaire, pas de câlins pour les bonnes notes à l’école, pas de vacances au bout du monde.

En même temps, je grandissais à mon rythme sur le quartier et mes yeux curieux d’enfant scrutait le voisinage avec avidité. Dans le voisinage, certaines familles avaient plus de moyens et comblaient les lubies de leur progéniture. J’observais non sans une pointe de tristesse les dernières acquisitions des autres enfants, et un après-midi c’était le choc, la seule chose que j’ai osé vouloir de toute mon enfance passait devant ma porte : Une bicyclette rouge.

Pixabay

Elle était destinée à un autre enfant du quartier, et ce joujou donnera la fièvre à nous tous. Après l’avoir admirée de loin, je me suis approché de son propriétaire pour pouvoir la toucher et tous les enfants de mon âge faisaient de même. La conversation autour de la bicyclette rouge et la joie qu’affichait son propriétaire au moment de la chevaucher attisa la jalousie des parents du quartier et ceux qui en avaient les moyens ont décidé eux aussi de doter leurs enfants de cette machine à deux roues. Donc moi, j’étais là à regarder non seulement la bicyclette rouge, mais maintenant des dizaines d’autres couleurs. J’avais les joues en feu mais j’affichais une fausse sérénité, car très tôt, j’avais appris à ne pas faire montre de jalousie ou d’envie, à ne pas vouloir ce que ma mère ne pouvait pas m’offrir.

Et de l’enfance à l’adolescence, j’ai rêvé de cet objet de liberté que j’aurais chevauché pour aller me baigner dans les rivières. J’ai imaginé le souffle du vent sur mes tempes, dans mes habits et je me suis même réveillé la nuit en sueurs, entendant le bruit des roues dans la cour. Aujourd’hui, je suis un adulte, je travaille et je pourrais m’offrir cette bicyclette rouge dont l’enfant en moi a tant rêvé. Mais je tais cette envie comme si je me punissais pour un péché que j’avais commis. Si vous me croisez un jour dans la rue, n’en faites pas mention. Merci.


L’argent, sujet tabou en Haïti !

Demander à un haïtien combien il gagne par mois peut être perçu comme un affront. C’est un manque de respect, ne pas reconnaitre ses limites dans la relation qu’on entretient avec l’autre, qu’elle soit une relation amicale, de travail ou familiale. Pourquoi l’argent représente-t-il un sujet si sensible, si tabou ? Est-ce parce qu’on se réduit au montant sur le chèque ? Ici, nous ne parlons pas finance personnelle.

Il y a quelques mois de cela, je faisais une expérience dans une institution non gouvernementale. Imbu de l’information, un collègue avec lequel je collaborais dans une autre institution me demanda avec des yeux très curieux et avide de l’information : ‘’Combien on te paie là-bas ? ‘’ Bref moment de gêne entre nous, j’ai essayé de dévier du sujet, parlant de la canicule, des résultats des élections mais il a tenu mordicus. J’ai fini par lui donner un chiffre qui était loin d’être le montant exact que je percevais. Laissez-moi vous expliquer.

Pixabay

On ne connait pas encore la valeur de l’argent que lorsqu’on commence à en gagner à la sueur de son front. Lorsqu’on commence à avoir des responsabilités, lorsque les factures ont votre nom dessus. L’eau courante, l’électricité, l’internet, le service de ramassage d’ordures, la blanchisserie, le gaz pour la voiture, le loyer, etc. Donc si on est un employé de la fonction publique ou du privé, le montant sur le chèque indique le niveau de vie qu’on peut avoir. Le type de restaurant qu’on peut fréquenter, le type d’appartement dans lequel on peut habiter, la marque de voiture qu’on peut rouler et le genre de vêtements qu’on peut porter. En Haïti, tout le monde est en quête d’un meilleur travail. Même ceux qui occupent un poste depuis dix ans cherchent une meilleure situation. Je n’en disconviens pas, on a tous le droit de vouloir plus, de vouloir mieux. C’est triste de l’avouer, mais nous sommes devenus le chiffre inscrit sur notre chèque tous les mois.

L’agent au travail

Je me rappelle de ma première entrevue pour un job dans une institution à Port-au-Prince. J’étais stressé au moment de négocier la partie financière. Et lors des préparations on m’avait conseillé de répondre au recruteur lorsqu’il m’aura posé la question sur le montant que j’espérais recevoir à la fin du mois, ‘’ce qui était prévu, parce que c’est sûr qu’il y a un montant prévu pour le poste’’. Et si le montant prévu pour le poste ne s’accorde pas avec mon niveau de vie, mes attentes ? Pourquoi ce serait difficile et même osé de nommer directement ce que j’attends en terme d’argent. En Haïti, soit la résultante du chômage ou parce que justement l’argent est trop précieux, on n’en parle pas. Et dans le milieu professionnel on n’ose pas demander ce qu’on veut, ce qu’on vaut.

L’argent dans la famille, dans le couple, entre collègues et entre amis

Il peut aussi être objet de discorde dans les familles, ou sous un autre angle, objet de respect. Que se passe-t-il quand l’homme fait plus d’argent que la femme (un peu cliché car le débat sur le salaire entre les genres est encore d’actualité)? Et quand c’est la femme qui gagne plus, beaucoup plus? L’homme ne sentirait-il pas diminué dans sa virilité ? L’inégalité salariale fait encore débat, même dans les pays riches. La lutte est encore loin d’être gagnée. Mais en Haïti, dans les familles, on ne parle pas d’argent à l’heure du diner, ni à n’importe qu’elle heure d’ailleurs.

Quelle est la place de l’argent dans le couple? Comment devrait-on se comporter quand son partenaire gagne cinq fois plus que soi? Vous me direz que l’amour occulte ce genre de choses. Vous en êtes sûr? Quand dans une relation, l’un des partenaires a un budget plus serré que l’autre et ne peut pas offrir des cadeaux à tout bout de champ, quand l’un ne peut pas payer les factures du restaurant, il y a de l’eau dans le gaz.

Je travaillais dans une institution et au moment du paiement à la fin du mois, c’était comme une remise de carnet, ou un mandat du tribunal. Chacun recevait son enveloppe en secret. Entre collègues, on ne parle pas de combien on reçoit, même si on fournit le même travail. Si tu reçois plus que moi, donc tu es meilleur que moi. Objet de fierté pour l’un, jalousie pour l’autre camp.

Entre amis aussi c’est difficile. Dès que les discussions tournent autour de combien on gagne, on sent de l’inconfort. Si on gagne moins qu’un pote on se sent un peu léger dans la balance et on n’a plus envie de traîner avec quelqu’un qui gagne plus que soit.

Mais d’où vient cet inconfort au contact de l’argent? Est-ce ainsi dans les autres sociétés? Est-ce que le montant du chèque résume l’intégralité de ce quelqu’un peut être? En Haïti, l’argent est un sujet qui rend inconfortable, on ne veut pas dire à haute voix combien on gagne pour ne pas attiser le feu de la jalousie chez l’autre ou tout simplement pour ne pas attirer l’attention sur son avoir et en être victime d’une quelconque manière. Nous avons une relation amour-haine avec ce papier imprimé qui nous assure un certain confort matériel. Le souvenir de notre compte peut nous faire sourire ou nous stresser au quotidien. Si je devais nommer le montant que j’ai sur mon compte avec le titre d’un film, je dirais : ‘’Vingt mille lieues sous les mers’’. Nommez le vôtre, ça vous arrachera peut-être un sourire. À plusse, merci d’avoir lu.