Soucaneau Gabriel

Lettre à ce corps de 28 ans dont je suis l’occupant

Crédit Photo;: Photographe Gio
Crédit Photo: Photographe Gio

Tu te regardes dans le miroir et tu souris bêtement. Pendant longtemps, il t’était difficile de soutenir ton propre regard. Tu n’aimais pas ce que tu voyais. Timide, hésitant, doutant de tout autour de toi y compris de tes capacités. Tu n’aimais pas tes manières, tu ne  supportais pas la couleur de tes yeux. Les gens de ton quartier disaient que tu avais les yeux d’un chat et c’était loin d’être un compliment pour toi. Tu as donc grandi avec beaucoup d’insécurité, toutes ces choses que les autres n’aimaient pas chez moi et que tu t’étais mis à détester à ton tour.

Les années ont passé, il fallait que tu deviennes un homme. Tu as eu la voix grave, des poils au menton, des désirs sexuels et la rage des premières expériences. Pas d’ouvrage pour les débutants en amour, ni pour les pulsions sexuelles incontrôlables. Dans nos familles en Haïti, on n’en parle pas. On ne parle pas de sexe, c’est malsain. Cela doit se faire avec les volets fermés, la musique à fond, quand les enfants sont en vacances chez les grands-parents. L’amour aussi était un étrange sentiment, on n’en parlait pas. On ne faisait pas montre de tendresse devant les enfants, c’était déplacé. Tu as donc grandi avec une perception très étrange de l’amour et de la sexualité. Jusqu’à ce que tu découvres l’internet et la pornographie, qui ne t’ont pas apporté des réponses pour autant.

Tout seul tu as cherché des réponses, tu as rencontré les livres, les personnages et les lieux. Tout seul tu as appris qu’il y avait un ailleurs, tu as créé tes propres espoirs. Sur le chemin, certains ont abusé de toi, t’ont rabaissé, t’ont fermé la porte au nez. Tu as embrassé la vie d’adulte avec ses factures et ses décisions à prendre.Tu as appris à faire ce qu’un père n’a pas été là pour te montrer, tu t’es forgé une carapace et tu te relèves tant bien que mal de tes chutes.

Cette année à plusieurs reprises, tu as doucement réfléchi à mettre un terme à ce petit jeu de la vie. Cette folie qui est de se réveiller tous les matins,  de cuire sous le soleil et d’aller se coucher le soir, pour répéter les mêmes mots, refaire les mêmes gestes et les mêmes parcours le lendemain. Tu n’es pas passé à l’acte, tu ne passeras pas à l’acte, car quelque part au fond de toi, il y a cet enfant qui a été sauvé par les livres, par ses rêves et qui croit dur comme fer que la vie ne saurait infliger que des blessures. Il y a cette part en toi qui croit que la vie aura d’autres nuances de couleurs.

Aujourd’hui, 28 ans plus tard. Tu essaie à tout prix de te faire une place parmi les autres. Tu y arriveras même si tu dois traverser des tranchées et des rivières en crue. Cette lettre est pour te rappeler que tu n’a pas le droit de baisser les bras, de ne pas t’accrocher aux jugements des autres. Tu as 28 ans aujourd’hui, il te reste l’univers à découvrir. Je sais aussi que tu n’aimes pas être célébré, joyeux anniversaire poto. Toi et moi, nous avons la vie devant nous.

Laisse pousser tes ailes et vole.

De Soucaneau à Soucaneau avec tout mon respect.

 


Un vote à mériter

www.maghaiti.net
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L’expérience du vote fut un tournant dans ma vie d’adulte. Je me souvient de l’excitation qui m’avait habitée à l’idée de faire partie de cette longue file qui s’allongeait devant les bureaux de vote. Ces ‘citoyens’’ participaient aux prises de décisions de leur communauté. Je voulais me sentir important, responsable, citoyen. Je voulais redonner un peu à la communauté de tout ce qu’elle m’avait donné jusque-là. Dix-huit ans, les yeux encore pétillants d’espoir, l’ivresse de la jeunesse, je faisais partie de cette catégorie qui voulait faire bouger les choses. Une catégorie qui pointait le mal du doigt. Et on m’avait fait croire que mon vote pouvait faire la différence. Que si je prenais cette longue file et que je choisissais l’un de ces visages souriant aux dents presque ou pas du tout blanches sur le bulletin de vote, alors je participerais aux prises de décisions moi aussi. Ainsi je m’enlèverai ce poids du cœur, le poids d’avoir été présent et de n’avoir rien fait pour éviter le bateau de couler.

Oui je l’ai fait, poussé par l’excitation de mes 18 ans. Une entrée soudaine et sans préparation aucune dans l’âge adulte. Je me souviens de mes conversations dans le quartier, j’osais tenir tête aux grandes personnes, aux militants politiques et aux fanatiques. Je participais aux réunions, je disais tout haut le fond de mes pensées. Je critiquais, sermonnais, participais aux débats et donnais des directives aux futurs élus. Dans la foulée, je devais aussi faire attention car clamer haut et fort qui on soutenait apportait aussi son lot d’ennemis et d’ennuis. Chaque quartier évoluait sous une couleur et dans l’Haïti où nous sommes, le respect des convictions et des choix d’autrui n’ont jamais été une priorité pour quiconque.  Donc une petite ville d’une dizaine de milliers d’habitants se transformait en un champ de bataille et en un clan le temps des élections.

Finalement j’ai pris la file, j’ai choisi un candidat par conviction, j’ai fait une croix sous sa photo et les membres du bureau de vote ont trempé mon pouce dans un liquide bleuâtre. J’ai laissé le bureau de vote rempli, avec la ferme conviction d’avoir servi mon pays. C’était euphorisant. Cinq années s’étaient écoulées depuis, le tableau est resté figé, aucune nuance de couleur n’a été ajoutée.

Cinq années plus tard, deuxième expérience, deuxième vote. Emporté par le fanatisme et les influences, j’ai voté par intérêt personnel. J’ai voté en étant consumé d’individualisme et de colère, car mon premier vote n’avait  pas servi à grand-chose. Il n’avait pas atteint la communauté, pourquoi je sacrifierais le deuxième. Le deuxième serait pour moi, pour mon ego et pour mes poches. Je me suis présenté au bureau de vote et,  encore une fois, j’ai voté. Quelques minutes plus tard, quelqu’un est venu me chercher, m’a emmené dans une chambre où une femme m’attendait avec un liquide dans une fiole et du coton. Elle m’a frotté le pouce avec énergie, m’enleva complètement la marque certifiant que j’avais déjà voté puis on m’ordonna d’aller à un autre bureau de vote. Ignorance ? Fanatisme ? Colère ?  Qu’est-ce qui avait pu justifier un tel acte ? Rien ne pourra effacer cet acte odieux que moi et des centaines d’autres avons commis.

Ces deux votes le même jour, qu’ont-ils apporté à la République ? Absolument rien de positif. Un acte qui a encore fragilisé le système et qui nous a gardé sur la liste des pays les plus corrompus.

Prolifération de la misère, des épidémies, les migrants haïtiens sont humiliés sur toutes les frontières de la terre. Des élèves parcourent plusieurs kilomètres pour pouvoir fréquenter leur école, l’eau potable est un défi au quotidien pour des milliers de famille. La famine continue à sévir, avez-vous déjà vu les yeux affamés d’un enfant pour qui la nourriture est un luxe ? La liste serait interminable si je continuais l’énumération des fléaux qui nous accablent présentement.

La campagne électorale bat son plein, la moindre parcelle de clôture affiche un slogan, un emblème, un numéro, un visage et un sourire destiné à séduire. Les débats animent les émissions de télé et de radio, les chars musicaux parcourent les rues et provoquent des embouteillages monstres, les candidats courent les hôpitaux à la recherche de convalescents et de bébés potelés à tenir pour une séance de selfie qui leur attirera plus de like sur les réseaux sociaux. La technologie apporte d’autres approches et les candidats ne lésinent pas sur les moyens, certains courent les départements en hélicoptère, d’autres misent un peu plus sur leurs discours par manque de moyen. Mais au final, à quoi sert une campagne électorale ? Elle sert à séduire, me diriez-vous ?  Mais séduire qui ? Les électeurs ?  Spectateurs de ce triste et dérisoire spectacle que vous offrez à chaque fois que l’occasion se présente. Différents costumes, visage blasé et discours remanié voire fade.

Le 9 octobre prochain sera ma troisième expérience, l’occasion de rectifier le tir, de voter pour le pays profond, pour la masse qui a été et qui est jusqu’à présent le souffre-douleur de toute une élite, qui est aussi la victime des fils sorti de ses entrailles, aveuglés par le luxe et les billets verts. Je veux voter ce 9 octobre, pour ces milliers de jeunes qui quittent le pays sans espoir d’arriver à destination et sans espoir d’y retourner un jour. Je veux voter pour ceux qui décident de rester malgré tout. Je veux voter pour ces enfants qui meurent de malnutrition, ces prisonniers qui croupissent dans la crasse tandis que les vrais escrocs se pavanent en voiture teintée et trinquent dans les fêtes patronales. Je veux voter pour les minorités du pays. Je veux voter pour tous ces jeunes professionnels qui n’ont jamais travaillé de leur vie, ces bacheliers sans espoir de fréquenter un jour l’université. Je veux voter pour ces jeunes dans les bidonvilles dont le quotidien est ponctué de drogue et d’armes à feu. Je veux voter pour ces enfants qui dorment sous les porches des entreprises. Je veux voter pour tous les malades mentaux qui courent les rues du pays et dont personne ne parle. Je veux voter pour redonner espoir, je veux voter pour qu’un jour Haïti sorte de toutes les mauvaises listes, les mauvais sondages du monde.

Chers candidats, j’ai un vote libre. Méritez-le !

haitinews2000.net
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Port-au-Prince, ville de contrastes

afrique.lepoint.fr
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Je vis dans cette ville de contrastes où mille réalités s’enchevêtrent, où toutes les facettes de la vie sont présentes, palpables et où toutes les émotions se manifestent : l’amour, la haine, la jalousie, l’hypocrisie, la colère, le mépris. Où on peut tout expérimenter : drogue, orgies et exotisme. Une ville où la sexualité est taboue dans les conversations pendant le jour, pourtant la nuit les masques tombent, on peut tout se permettre, plaisirs ou vices. Une ville où les nuances de couleurs sont loin d’être ce que vous voyez.

Quelle est la vue qui s’offre à vous en vous réveillant le matin ? Avec quelle paire de lunettes regardez-vous la Ville des Princes ? Cette ville qui, deux siècles plus tôt, recevait des cargaisons d’esclaves par milliers. Qu’est-ce que cette ville vous inspire ? Bonheur ? Dégoût ?

De mon côté, j’ai vu quelques-unes de ses facettes. L’amour et la haine dans une danse endiablée. La violence dans sa version la plus brute. La richesse côtoyant langoureusement la pauvreté. Ce soir j’ai dormi avec la baie de Port-au-Prince en toile de fond. La mer, masse argentée caressant les racines de l’horizon. Un Port-au-Prince boisé, vert, nonchalant, où le vent circule mielleusement dans les arbres, s’offre à mon admiration. Oui, ce Port-au-Prince-là existe, aussi concret que celui dans lequel des crimes sont commis en plein jour. Cette ville bordée de bidonvilles, dans lesquelles dix personnes dorment dans une  chambre exiguë, et où deux cents prisonniers croupissent dans une cellule construite préalablement pour dix.

Il y a ce Port-au-Prince des nantis, où la nourriture n’est ni un défi ni une nécessité mais juste une énième activité du quotidien. Ce Port-au-Prince où l’argent coule, où on change de voiture tous les hivers, où on a déjà visité les plus grandes villes du monde.

Il y a ce Port-au-Prince de privation, où on ne rêve que de nourriture, où avoir un plat chaud représente un parcours du combattant quotidien. Ce Port-au-Prince où l’argent se fait très rare, où on vit en dessous d’un dollar par jour. Où le minimum est luxe et folie. Où, pour combler l’errance et l’oisiveté, certains se réfugient dans des substances stupéfiantes.

Il y a ce Port-au-Prince des opportunistes, où se frottent sénateurs, députés et ministres, militants et activistes politiques, journalistes et autres assoiffés de pouvoir et de reconnaissance. Ce Port-au-Prince, vous n’y avez pas droit ! Vous ne le verrez pas non plus à la télé. Dans cette arène se joue le devenir du pays, entre rasade de rhum et barbecue autour de la piscine le samedi soir. Les uns connaissant les petits penchants des autres, les postes se vendent ou sont offerts à ses amis ou à sa famille. Les millions y brûlent comme du feu de paille.

Il y a ce Port-au-Prince des rêveurs, où se mêlent écrivains, éditeurs, peintres, danseurs, acteurs, mannequins, journalistes, ils se rencontrent, trinquent et fument, baisent, se congratulent et s’enorgueillissent. Ils trinquent à la parution d’un livre, célèbrent un défilé de mode, critiquent le prochain album d’un musicien. Ceux-là, bien que planqués derrière leur narcissisme, donnent encore un sens au quotidien à travers leurs œuvres. De leur trône, ils décident qui sera en couverture, qui mérite leur approbation, qui mérite une bonne presse ou qui mérite d’être écrasé à plate couture.

Il y a ce Port-au-Prince puant, où tout  diplôme de l’étranger vaut plus qu’un diplôme d’une université locale, où un étranger est cent fois mieux payé qu’un professionnel haïtien. Ce Port-au-Prince de caste. Ce Port-au-Prince où toutes les portes vous sont ouvertes parce que votre peau est plus claire et que vous descendez d’une certaine lignée. Ce Port-au-Prince où un professionnel qualifié est au chômage. Où on doit coucher pour le poste malgré ses nombreux diplômes aux mentions qui font rougir.

Il y a ce Port-au-Prince évanescent,  où l’on ne rêve que de l’ailleurs, où beaucoup sont déjà partis vers leur eldorado imaginaire (le Brésil, le Chili, l’Argentine, la République Dominicaine, les Bahamas).

Il y a ce Port-au-Prince des puissants que rien n’arrêtent. Il y a ce Port-au-Prince des victimes qui paient de leur sang les lubies des puissants.

Il y a ce Port-au-Prince où je suis, fin observateur des tendances, buveur invétéré de café ou de vin si le temps s’y prête, amant de littérature, griffonnant tout ce qui me passe sous les yeux.

Quelle facette de Port-au-Prince s’offre à vous ?

www.lescacosnoirs.com
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Le vendeur de poèmes

pinceauxdastrid.canalblo.com
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Dans un pays où les transports en commun ne sont pas réglementés, où la destination prime sur le confort, on doit s’attendre à tout. Des mendiants de tous poils longeant les allées des bus s’inventent mille et une histoires, les unes plus loufoques que les autres, dans l’espoir de soutirer quelques gourdes. Des prédicateurs ont vu Dieu dans leurs rêves et, à coup de sermon sans queue ni tête, veulent vous convertir le temps que dure le trajet. Mais il y a aussi cette trouvaille fabuleuse que sont les vendeurs de médicaments . Ils connaissent les maladies comme s’ils les avaient inventées. Les transports en commun en Haïti peuvent être un vrai calvaire pour qui veut rentrer chez lui après une dure journée et qui voudrait profiter des minutes du trajet pour roupiller un peu. Pas question, il faut acheter, consommer ou donner aux nécessiteux pour avoir les faveurs de Dieu.

Certains jours, j’aime ces voyages, ou plutôt « expéditions » j’ose dire. Je regarde, je prends note mentalement. Elles me révèlent des scènes et des personnages qui pourraient figurer dans mon prochain billet ou dans un livre à l’avenir. Ça m’a même été thérapeutique plusieurs fois. J’ai emprunté ce long bus jaune d’écolier, filant à une allure cadencée sur la route de Carrefour, la mer scintillant au loin. Les échos des conversations des autres me parvenaient par bribes là où j’étais, plongé sur un siège loin d’etre confortable.

Quand les mots grignotent goulument ma chair, quand ils me font plus de mal que de bien, quand la page scintille par sa blancheur immaculée et que les mots refusent carrément de descendre, c’est dans ces instants que je pars à la recherche d’un visage qui déclenchera en moi orage, peur, colère, envie ou plus de ténèbres. Je m’en fous.

Ce matin-là était juste un matin comme les autres, avec sa canicule et son embouteillage. Rien de bien surprenant, jusqu’à ce qu’un enfant grimpe avec une canne et un œil crevé. Il balaya le contenu du bus avec l’œil qui lui restait, tâtant l’atmosphère pour savoir quel rythme adopter et commença à parler, à déclamer plutôt. Des mots accompagnés d’une voix nasillarde et pleureuse qui se devait de toucher les cordes sensibles de votre être. Une vingtaine de feuilles blanches imprimées, un poème qu’il avait écrit pour sa maman disparue et qu’il voulait partager avec le monde. Faire de ce poème son gagne-pain était l’objectif.  J’écoutais en silence, feignant de ne pas le remarquer, pesant chaque mot de son poème. J’évitais à tout prix de croiser cet œil qui déshabillait tout le monde, qui pouvait à un moment de la durée trouver cette boite où sommeillaient les racines de mon âme, que j’avais entrepris de bien cacher le temps de rentrer chez moi. Ici, dans cette ville, chaque personne est un livre.

Son poème parlait d’une mère, d’une femme, d’une Haïtienne qui avait tout fait pour lui mais qui avait été fauchée par la violence des rues. Des mots qui parlaient d’un pays de rêve, d’une Haïti qu’il rêvait d’habiter, une Haïti où les enfants mangeraient à leur faim et ne courraient pas les rues en loques. Un poème qui voulait redonner espoir. Un poème qui fendait comme une épée. L’avait-il lui-même écrit ? Je m’en moquais. Je voulais simplement rentrer, ce courrier d’espoir, je n’en voulais pas. J’avais cessé d’espérer longtemps déjà. Ici, les gens se confortent dans la terreur et dans la crasse. Je ne veux pas de ce poème acide, de cette épée, de cette potion qui voulait réveiller les âmes en dormance.

Je suis descendu la rage au corps, je ne me suis pas procuré son poème. Après un bain au gant de crin pour enlever la violence et la poussière des rues, j’ai ouvert mon ordinateur pour une raison que j’ignore encore, peut-être était-ce pour accoucher ce billet ?

Une page Word m’attendait patiemment, blanche avec une barre qui clignotait. Un poème aux mots lourds de sens est venu me hanter, un visage muni d’un œil crevé et d’un autre oeil clignant dangereusement me scrute derrière l’écran.

Je le répète pour la dernière fois, je ne veux pas de votre rêve.

Soucaneau Gabriel

 


Carnet de bord, Haïti dans toutes ses nuances

20160703_102822Je ne sais plus quel livre d’aventure est-ce que j’ai lu, qui m’a mis dans la tête d’être un nomade. J’ai subitement voulu en être un, sans port d’attache, sur la route, trimballant mes rêves dans un grand sac, en quête d’aventure, d’inconnu et d’émerveillement. Ça me paraissait si beau, la définition même de la vie. Mais la réalité est que chacun de mes voyages laissa une marque en moi. Chaque fois que je dois faire mes malles, excité vers cet ailleurs tant convoité. Puis vint l’heure de rentrer, de payer la facture de l’hôtel, de demander la recette du poulet à la dame du restaurant, de regarder cette balançoire sur la grande place publique pour la dernière fois, de dire au revoir à ceux qui nous ont ouvert les portes de leur ville.

C’est humain de vouloir voir du monde, de voir d’autres cieux, d’autres nuances de bleu. C’est peut-être bon pour le moral de casser un peu le rythme, briser la routine. Ça aide à grandir diront certains.

Je me rappelle de Jérémie, surnommée ville des poètes. Une ville qui a ses artères plantées dans la mer, d’un bleu trop intense, d’un vent salé porteur de rêve et d’espoir. J’y ai rencontré Maurice Léonce, un gardien de la mémoire, il porte ses 95 ans aujourd’hui avec vigueur et beauté. J’aime cette ville et ses toitures, ses Gingerbread, l’anse d’azur et ses dizaines de contrées, toutes, regardant la mer droit dans les yeux. Dame-Marie, touffue sous une couche de végétation, drue et intensément vert. Une ville dominée par la cloche de son église qu’on aperçoit à des kilomètres. Dame Marie est aussi la saveur d’un plat de l’arbre véritable frit et du lambi grillé mangé à belle dent chez les Wiener. Une ville qui exporte le café dans tout le pays et sur l’étranger.

La ville des cayes, la permanence, la nonchalance, l’énergie des jeunes. Un poisson dégusté avec ses doigts, accompagné d’une bouteille de trempé.

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Cap-Haitien, deuxième plus grande ville d’Haïti. J’ai aimé les crépuscules, les pêcheurs bravant la mer sous les rayons jaunâtres d’un soleil qui paresseusement se lève. Les cours intérieurs, les fours à pains de l’époque coloniale. La courtoisie et la fierté des Capois. Une ville contrastée entre histoire et modernité. Sainte Suzanne, un rythme de vie cadencée, une rare sérénité.

Ouanaminthe, l’une des portes d’entrées d’Haïti, vibre sous le poids de l’urbanisation. Balance entre un luxe importé et les patrimoines enfouis dans la terre.

J’ai vu les yeux pétillants de curiosité de Jean Elie Gilles, de Michael Craan, comptant l’histoire de Jacmel aux visiteurs en quête de savoir et d’exotisme. Thiotte dort sous une nappe de brouillard. Perchée à 956 m d’altitude, on doit emprunter le long couloir de la forêt des Pins pour y accéder. On traverse le cœur de la forêt avec l’impression d’etre dans la saga du Seigneur des Anneaux.

Entre orgueil et préjugé, Bélladère fut construit par le président Dumarsais Estimé en 1948. Porte d’entrée orientale du pays, située dans le département du Centre, érigée dans le but d’une douce concurrence avec la République Dominicaine.

Je n’oublierai surement pas les trésors de la Grand’Anse ; Moron, Chambellan, Anse D’azur, Abricots, Anse du Clerc. Ceux du Nord et du Nord-Est ; Plaisance, Limbé, Ferrier, Limonade, Trou du Nord, Fort Liberté, Caracol. Le Sud ; Meyer, Raymond les Bains, Bassin Bleu, Kabik, Seguin, Cyvadier, Marigot. Le Centre ;  Mirebalais, Saut d’eau, Hinche, Papaye, Bassin Zim. Et tant d’autres villes qu’il me reste à découvrir.

 Haïti est toute une expérience. C’est aussi des images et des scènes de vie bouleversante. Une tasse de café qu’on déguste face à la mer, des enfants insouciants qui se baignent nu dans les rivières, des pêcheurs heureux face à la trouvaille de la journée, des chutes, des fortifications, des arbres centenaires, des lieux où les héros de ces terres ont pris naissance, ont livré batailles, des lieux de pèlerinage, des Lakous, des couloirs qu’il ne faut pas emprunter et des légendes racontées à voix basse.

Je garde en moi ces milliers de visages, ces accolades, ces poignées de mains pour ces jours où je n’aurai ni la force, ni la liberté, ni l’argent, ni l’enthousiasme de voyager. J’aurai ces souvenirs tapis dans un tiroir, qui m’aideront à tenir mes vieux jours avec le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’extraordinaire. Avec l’impression d’avoir été en quelque sorte, ce qu’au fond de moi je suis. Un nomade en quête de son point d’appui avec le monde.

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sur le sable

 

Crédit photo: Soucaneau Gabriel


Lettre à un père…

Peu importe ce qui a occasionné ma naissance : une nuit pluvieuse, une rencontre fortuite, quelques verres, un moment d’égarement. Peu importe, je suis là, je vis. Un être bien en chair avec un parcours, une histoire. Et à ce stade, je ne saurais continuer à être une erreur d’une nuit de folie.

Pixabay

Je ne m’étais jamais posé de question, car à cette époque je ne savais pas vraiment si ta présence m’était nécessaire. Je ne savais même pas que tu devais exister. Je regardais ma mère trimer jour et nuit, s’usant comme une corde. Je n’ai jamais rien osé lui demander, ni surplus d’affection ni d’amour. Et j’en avais grandement besoin. Je me suis contenté de grandir, seul, de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte. Je t’ai imaginé mille visages, j’ai même été scruter les visages des anciens du quartier pour y déceler une parcelle de moi. Rien. J’ai échafaudé des centaines de scénarios, où tu serais revenu d’une guerre, d’un pays étranger, d’une femme mariée qui t’aurait mis ses griffes dessus, te poussant à oublier ce petit être rose que tu as abandonné 28 ans plutôt. Le confort du mensonge n’a pas duré longtemps. Tu as été absent depuis le début, le jour de ma naissance, les 28 anniversaires célébrés, toutes les fêtes de fin d’année, les réunions de parent d’élèves, les remises de bulletins scolaires et enfin, mon entrée dans la vie d’adulte.

Je n’ai jamais pu prononcer ce mot, Père. Je l’ai écrit mais il n’a jamais pu franchir mes lèvres. Ça sonnerait tellement faux. Je l’ai pourtant imaginé : j’ai rêvé d’une relation père-fils. Il y a tellement de choses que j’aurais pu te raconter, tellement de faux pas que tu aurais pu m’éviter. Je l’ai aussi admiré de loin : les pères de mon entourage et de leur relation avec leur fils. J’en étais un peu jaloux de voir cet attachement, je n’arrêtais pas de me demander ce qu’il adviendrait de moi si tu étais là ? Aurais-je été celui que je suis aujourd’hui ? Aurais-je été plus fort ? Moins vide ? Aurais-je eu moins de bataille à livrer, moins de choses à prouver ?

Il m’aura fallu 28 ans pour comprendre que je portais un vide, une culpabilité sortie je ne sais d’où. J’ai fini par arrêter de culpabiliser. Cette culpabilité, elle est tienne, c’est toi qui a failli à ton devoir, ta mission. C’est toi qui n’as pas su garder ta braguette. Non, je ne vais pas te traiter de salopard, d’incapable, de fuyard, de couille molle, rien de tout cela. Je serai justement meilleur que toi, le meilleur père qu’un enfant rêverait d’avoir. Je serai présent et je tiendrai mes promesses. Je serai là pour ses premiers pas, ses premiers mots. Je serai là pour le premier jour de classe, je serai là pour l’embrasser après l’école, je tiendrai ses doigts pour tracer ses premières lettres, je le féliciterai pour ses bonnes notes, je le tiendrai éloigner des adultes aux fantasmes coquins et douteux. Je réussirai là où tu as échoué.

D’un autre côté, je te remercie, le confort de ta présence m’aurait peut-être conduit vers d’autres rives. Je vais continuer à utiliser le vide que tu as laissé pour grandir, pour apprendre, pour devenir quelqu’un de meilleur. Ton absence est devenue un tremplin, ma matière noire pour affronter le sourire hypocrite du monde.

Tu aurais été heureux et chanceux de m’avoir comme fils.


Lâche !


Lire est une fête

Crédit photo: www.lenouvelliste.com
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La 22e édition de ‘’Livres en Folies’’, la plus grande foire du livre en Haïti

Livres en Folie a tenu son pari encore une fois cette année : réunir des milliers de personnes autour d’un point commun, le livre. Le Parc Historique de la Canne à Sucre, très beau décor logé dans la commune de Tabarre, a vu défiler lecteurs, personnalités politiques et surtout près de 157 auteurs ont exposé leurs œuvres. Deux jours de festivités, de retrouvailles, d’achats et d’échanges.

Marie Vieux Chauvet est le visage de cette ‘’22e édition’’, invitée d’honneur pour célébrer le centenaire de son anniversaire de naissance. Icone de la littérature selon certains, avant-gardiste pour d’autres,<<figure incontournable de la littérature haïtienne>> selon Phew Laroc (lecteur, étudiant finissant en Sciences Humaines). Femme éclairée, libérée, émancipée, écrivain engagé. Des mots choisis avec soin pour parler de l’auteur et de son œuvre. Elle aurait permis l’éclosion d’une littérature féminine selon le critique et éditeur Dieulemerson Petit-frère (LEGS Editions). L’apport de Marie Vieux Chauvet dans la littérature haïtienne est remarquable selon Paulette Poujol Oriol et sans nul doute est-ce la raison pour laquelle on se penche sur la portée de son travail outre-mer. A une époque où une femme qui mettait ses sentiments par écrit était mal vue, Marie Vieux Chauvet a fait sauter les barrières et les préjugés.

Les jeudi 26 et vendredi 27 mai 2016, le banquet du livre a fait des heureux. Se procurer des dernières publications de ses écrivains favoris étaient l’objectif de plus d’un, moi y compris. Je suis reparti sans pouvoir me procurer de Parabole du Failli de Lyonel Trouillot qui était sur ma liste. J’ai quand même pu acheter trois ouvrages qui me tenaient à cœur, Il fallait venir un soir (Mention Speciale Prix Henry Deschamps 2016) de Jean Billy Mondésir, Amour, colère et folie de Marie Vieux Chauvet, et Double Corps de Martine Fidèle.

Certaines lectures demandent un certain confort pour les savourer, autour d’un verre de vin ou de rhum, tard le soir, dans l’après-midi avec le soleil qui s’enfuit derrière les montagnes, cloîtré derrière sa fenêtre en regardant la pluie, sur un banc enfoncé dans le sable avec la musique des vagues de la mer en toile de fond. Trouvez votre moment de la journée, votre posture préférée et faites-vous plaisir.

Quelqu’un a dit un jour, la lecture est un événement dans la vie du cœur.

Sources :

La femme haïtienne dans la littérature: problèmes de l’écrivain. (Paulette Poujol Oriol)

https://alalettre.mondoblog.org/2016/05/10/la-legende-de-marie-vieux-chauvet/

Photo à la Une : www.lenouvelliste.com


Ces instants qui bouleversent toute votre vie

Je ne me souviens plus quel jour c’était ni par quel hasard j’avais emprunté le chemin passant de sa maison, je me rappelle tout simplement de ces boites empilées sur la grande galerie de la dame. Des boites pleines à craquer qui attiraient l’attention. Sans destination fixe, je faisais des va-et-vient devant sa maison attendant impatiemment le moment où elle se décidera à les ouvrir. Assise sur sa longue chaise, dodinant à son aise, elle me fait signe d’avancer tellement ma curiosité était palpable. Elle ouvrit une des boites et laissa échapper, ils sont à vendre. Des livres de toutes les dimensions emplissaient la boite, sans placer un mot j’ai commencé à fouiller, comme un orpailleur à la recherche de ce trésor ultime.

Toutes les dimensions, certains à l’état neuf, d’autres à l’apparence plus usée. Poésies, romans, nouvelles, magazines littéraires, livres de recettes de cuisine. N’ayant pas encore développé l’habitude de la lecture, je ne pouvais choisir que sur la beauté des couvertures et cette odeur moisie que les feuilles laissaient échapper. Sans savoir ce que j’allais découvrir, j’ai choisi de me procurer de quelques livres. On discuta du prix et je laissai la dame sur sa galerie, jaugeant les passants avec curiosité, demandant des nouvelles des autres et offrant une tasse de café à qui voulait en boire.

Arrivé chez moi, je me débarrassai de toute autre occupation futile pour partir à la découverte des livres. Sans vraiment en avoir conscience, j’ai entrepris d’ouvrir les portes d’un monde aux mille couleurs. Page après page, je vivais des histoires fabuleuses aux côtés de personnages extraordinaires. Jour après jour, j’étais subjugué par ce monde magique que je découvrais. Les instants, les virages, les évènements, les personnages. J’ai découvert les romans policiers, les romans d’amour, la nouvelle, le récit et la poésie. Je ne vous dirai pas que j’ai pleuré dans La nuit du Renard et que j’ai lu plus de dix fois Dors ma Jolie de Mary Higgins Clark. Mes deux livres fétiches. Que j’ai aimé La Parure, Le Parfum, 20 mille lieues sous les mers, Meurtres en Soutane, Le petit chose, l’Etranger, l’assommoir, Jeanne D’arc, Les Trois Mousquetaires, Le Journal d’Anne Franck, l’empreinte du faux, etc.

 

Crédit photo: litteratureetchocolat.wordpress.com
Crédit photo: litteratureetchocolat.wordpress.com

La dame ne saura jamais que dans ces boites se tenaient les piliers de l’univers, des nuances de couleurs qui allaient tapisser mon quotidien et que dans cette petite ville où j’ai grandi, loin des murmures du monde, j’ai vécu avec des héros de la littérature. Elle voulait de l’argent pour s’acheter de la poudre à café, moi je voulais les livres entassés dans ses boites.

 


La patience, un art qui se perd

Nous vivons à l’ère du numérique, au siècle de la lumière. Tous se fait à la seconde, emails, tweets, post, on aime, on partage. Nous vivons notre existence à haut débit,  à la vitesse 4G.

On essai a tort et à travers d’avoir de l’avance sur le temps. La technologie fait de son mieux pour nous simplifier la vie, nous donner du temps libre. Que nous utiliserons à faire quoi? Time is money répète les Américains. On est tout le temps très pressé. On a le monde dans notre paume.

A quoi nous mène cette course folle contre la montre? Le creux entre pays riches et pays pauvres s’élargit, la guerre, la famine, la misère, les épidémies continuent de ravager le monde. On continue de courir, sans se retourner.

Dans notre course avons-nous vraiment le temps d’apprécier les merveilles de la nature, d’apprécier la vie, les petits plaisirs qui s’immiscent spontanément dans notre quotidien. De nos jours est ce que nous prenons vraiment le temps de nous perdre dans un livre, d’écouter une musique avec attention. Nous sommes impatients. Nous ne pouvons plus attendre, nous voulons tout, tout de suite.

Quelle est notre réaction face à une file d’attente à la banque, face à la serveuse qui a pris du retard, face à une commande qui n’arrive pas à l’heure prévue, face à un vol qui a été reporté. L’impatience gagne du terrain et pourrit notre quotidien. Nous faisons tout à moitié dans le souci de passer au prochain. NEXT.

A force de courir après le temps, nous avons perdu notre capacité de nous émerveiller.

Alors la vie se résume à un tweet

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