L’écrivain et critique littéraire Dieulermesson Petit Frère questionne l’accès à la culture en Haïti

Article : L’écrivain et critique littéraire Dieulermesson Petit Frère questionne l’accès à la culture en Haïti
Crédit: Image par jacqueline macou de Pixabay
3 juillet 2022

L’écrivain et critique littéraire Dieulermesson Petit Frère questionne l’accès à la culture en Haïti

Diplômé d’un master en gestion de la culture et du patrimoine, la problématique de l’accès à la culture est une thématique qui me tient à cœur. Pour balayer un peu cette question dans le contexte d’Haïti, j’ai interpellé Dieulermesson Petit Frère, écrivain, éditeur, critique littéraire, professeur d’université et doctorant à l’Université Paris-Est Créteil. Cet entretien vient en renfort au premier article publié sur l’accès à la culture en Haïti publié dans les colonnes d’Ayibopost. Que peut la culture encore aujourd’hui et que nous apporte-t-elle vraiment ? 

Image par jacqueline macou de Pixabay

Quel est l’importance de l’accès à la culture dans un pays ?

Je commencerai par dire qu’il est parfois malaisé de savoir de quoi parle-t-on exactement lorsqu’on parle de culture, tout comme l’on parle de philosophie, de littérature ou de féminisme, par exemple. Autant les problématiques qu’on croit résolues une fois pour toutes dans la mesure où elles paraissent être on ne peut plus simples, autant elles peuvent être compliquées et faire l’objet de controverses, de remise en question et de remise en examen d’une période à l’autre. Ce sont des notions ou des concepts que l’on ne finit jamais d’explorer et d’interroger compte tenu de leur “vastitude”. Autant dire que tout est une question d’époque, de courant ou d’approche et du champ disciplinaire. Ainsi donc se pose la question, que peut charrier ou revêtir la notion de culture ? À quoi se réfère-t-on lorsqu’on parle de culture, d’un homme ou d’une femme cultivée ? S’agit-il, pour citer Alain Chauve, « de l’instruction qu’il a reçue, une instruction qui comprend en particulier des connaissances apprises à l’école ou dans les livres »[1] ou autres ?

Alors, selon un schéma classique et, d’une manière générale, la culture regroupe, du point de vue anthropologique et/ou sociologique (Cf. Tylor et Boas), et pour faire vite, tout un ensemble de pratiques, valeurs afférentes aux sociétés ou aux communautés, dans un sens moins large. Dans un article paru dans L’enseignement philosophique, Pierre Windecker, la définit « comme la désignation d’ensemble des acquis par lesquels l’homme, à titre individuel, collectif, ou même universel, peut vivre d’une vie qui n’est jamais seulement l’expression de sa nature simplement biologique, mais toujours en même temps l’expression possible d’une autre « nature », sinon substantielle, du moins fonctionnelle, qu’on a pu désigner comme « raisonnable », « spirituelle », « symbolique », ou autrement encore »[2]. L’expression ou la notion est souvent utilisée, en philosophie notamment, par opposition à la nature, pour désigner quelque chose de l’ordre de la valeur ajoutée. C’est aussi, et précisément dans le cas qui nous concerne ici en soupesant le non-dit de votre question, et pour convoquer Bourdieu, tout un capital englobant les habitus, les accumulations liées à des systèmes institutionnalisés ou transmises et/ou acquises par les livres et autres biens ou objets porteurs de cultures/connaissances. Comme facteur de pouvoir, de notoriété, c’est ce qui permet ou facilite la reproduction au sein des sociétés ou des communautés.

Pour en venir à la question, je me vois obligé de formuler une autre question à savoir, tous les pays ne sont-ils pas nécessairement des pays producteurs de culture ? Si l’on est d’un pays et où l’on est né (j’emprunte ici la formule de Roumain), l’on devrait ipso facto avoir accès à la culture. Là encore, il faudrait se poser la question : quelle culture ? Il y a aujourd’hui une telle marchandisation et industrialisation de la culture, qu’elle est devenue un bien marchand qui s’achète et se vend au prix et au plus fort. Et les véritables gagnants dans cette affaire ne sont autres que les pays ou les sociétés de productions de biens culturels à grande échelle et disposant de grands groupes ou moyens de financiarisation de la culture. L’accès à la culture est plus que contrôlé, car c’est non seulement un facteur de distinction, mais aussi un élément important de développement civilisationnel. Il ne faut pas se leurrer, il arrive parfois que cette forme de culture pervertit parce qu’à cause de cette valeur marchande, le quantitatif l’emporte sur le qualitatif vu qu’il y a une course contre la montre dans la machine à production.

 © Jean-Claude Naba

Vous conviendrez avec moi qu’aujourd’hui, il y a plus d’accès à cette culture dite de masse qu’à cette culture savante (toujours) réservée à une (petite) élite. Ce que fait Tony Mix en Haïti par exemple, élevé au rang d’ambassadeur culturel depuis tantôt 5 ans, relève-t-il de la culture, de l’inculture ou de l’imposture ? Cela vaut autant pour les séries d’émissions radiophoniques et/ou télévisées que l’on prend le malin plaisir à taxer de “culturel”. L’on sent que tout se fait dans une sorte de nivellement par le bas dans le pays, à l’envers de ce qu’on appellerait “Culture”, et que des gens, soit dit en passant cultivés, à cause de la non-culture de la honte ou plutôt cette culture de l’indignité dont a parlé un romancier de chez nous, veulent imposer  comme culture à cette jeunesse délaissée. Un autre exemple, pour finir, c’est bien le momentum, on est 2022, au nom de quoi et comment des gens ayant toujours été toute leur vie à droite -l’extrême droite en plus-, peuvent-ils, en plus de s’arroger le droit de se reclamer de Jacques Stephen Alexis, prétendre initier des écoliers, des jeunes à l’idéal et la pensée d’Alexis ? On a quand même le droit d’être duvaliériste, mais faire une chose pareille est une insulte à l’intelligence, à la culture. C’est plus qu’indigeste. 

On vit dans un pays ou toutes les infrastructures relevant de la culture sont inexistantes. Il existe des musées quand on y va, on se retrouve dans une salle rien qu’avec les murs, les images et les sons et on remonte le temps, à des années loin derrière soi pour (re)vivre des événements datant de telle antiquité par exemple. Si dans les pays sous-développés il y a très peu de musées – il n’y en a même pas 5 en Haïti – alors qu’ il y a des pays où il en existe même trop (c’est exagéré tout de même de dire une chose pareille), mais aller voir qui sont les visiteurs ! Ce n’est pas tout de même le commun des mortels trop occupé à s’occuper du (pain) quotidien.

La culture a-t-elle un rôle à jouer dans la construction de l’identité d’une personne, d’une société ? Qu’apporte-t-elle ? Peut-on vivre sans culture ? 

D’abord, qu’est-ce qui fait les sociétés ? Qu’est-ce qui distingue telle société de telle autre et qui fait qu’elles ne se ressemblent pas ? Il en existe, bien sûr, plein d’éléments, mais la culture est un trait distinctif (essentiel). Toutefois, il faut retenir que culture et identité sont des phénomènes complexes. Si le premier renvoie à la diversité des pratiques humaines, les productions de l’esprit, le second définit l’individu, ce qu’il est, devrait ou voudrait être dans les diverses circonstances ou moments de la vie sociale. Si l’on s’en tient au courant culturaliste, il convient de souligner que culture et identité sont nettement liées. Et dans ce sens, les pratiques culturelles seraient porteuses d’identité, c’est ce qui porterait des scientifiques ayant réfléchi sur la question à parler d’identité culturelle. Ce qui m’amène à considérer, de ce point de vue, l’identité comme un processus et elle se construit au contact avec l’autre.Aucun individu ne peut donc vivre en vase clos, vu qu’il fait partie d’un ensemble et ingurgite tout un ensemble de codes, lesquels sont ancrés dans son identité. D’où il ne saurait être indifférent aux pratiques, donc ne peut se défaire de la culture en étant un produit. Aujourd’hui, l’on parle des identités autant que l’on parle des cultures. Il faudrait peut-être lire Maalouf (Les identités meurtrières, Grasset, 1998) pour essayer de cerner la question. Il devient imprudent de morceler l’identité/ l’individu, elle/il n’a pas qu’une appartenance. De nos jours, les rapports avec l’autre changent, et il y a de nouvelles manières d’habiter le monde (Sarr), en habitant pleinement les histoires et les cultures de l’humanité)[3].

Lire la suite de l’entretien ici.

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